Alain a écrit :
l'employeur est il :
* un jeune qui ne veut pas se "casser la tête" et travaille avec du surgelé ?
* un ancien qui ne veut plus s'embeter ?
* un gars qui pense que d'ouvrir une boutique toute belle suffit à faire rentrer l'argent ?
* .............
Je vous remercie pour ces premières pistes, qui c'est vrai sont de bonnes possibilités. Comme le boulanger a entre quarante et cinquante ans, il n'est pas impossible que le métier commence à lui peser, qu'il soit désabusé ou lassé, après tout. C'est vrai.
Cleopatatras a écrit :Un bon commerçant, quel qu’il soit doit s'adapter à la demande de sa clientèle,... et non l'inverse. Mais si personne ne lui dit, il ne peut pas changer...
J'ai particulièrement peur de blesser.
Là, c'est une tout autre affaire que quelques propos agacés sur un forum de discussion qui sont placés un jour et s'enfonçant dans les fils de discussions disparaissent quelques semaines plus tard.
Le boulangerie est celle où je vais presque tous les jours: elle est à proximité de chez moi. Si son détenteur prenait mal mes réflexions, je pourrais trouver délicat d'y revenir: l'atmosphère deviendrait pesante. Et si elle devenait carrément hostile? Là, tout le monde peut en sortir meurtri... Ce n'est certainement pas quelque-chose que je ferai à la légère.
Toutefois, je ne suis pas d'accord sur l'assertion: "
Mais si personne ne lui dit, il ne peut pas changer...".
Chaque boulanger peut hebdomadairement goûter deux denrées distinctes qu'il produit et se les évaluer sévèrement. Quelle que soit la décision qu'il prenne ensuite.
Vous savez nécessairement juger vos pains et vos viennoiseries: parce que vous en avez forcément gouté d'autres que les vôtres. Tout comme moi, informaticien, je sais très bien quand j'ai écrit un programme de qualité (je peux le prouver, alors) et quand j'en ai écrit un en retrait... Je suis un professionnel moi aussi, et je ne me berne pas moi-même. Mon boulanger, à mon avis, sait ce qu'il fait pour le faire depuis des années. Mais il se peut qu'il y soit devenu indifférent ou qu'il n'ait pas mesuré les conséquences d'une réduction de la qualité de certains de ses produits.
Alain a écrit :* un ancien qui ne veut plus s'embeter ?
Je reviens sur cette idée qui me semble importante.
Admettons que si l'on juge la qualité gustative d'une baguette d'une boulangerie avec une note sur 20:
- Si elle reçoit une note entre 9 et 11 sur 20, le client n'a pas d'appréciation vraiment: c'est une baguette normale, ni bonne ni mauvaise, qu'il a acheté.
- Si elle reçoit une note entre 6 et 8 sur 20, il a l'impression d'avoir acheté sa baguette au
Franprix.
- Avec une note de 5 sur 20 et en dessous, il est certain qu'il changera de boulangerie.
- Mais si votre baguette a une note entre 12 et 14 sur 20, les clients diront occasionnellement: "
Je trouve votre baguette bonne".
- Si elle a une note entre 15 et 17 sur 20, vous entendrez régulièrement des clients vous dire qu'ils font un déplacement exprès pour venir chercher le pain chez vous.
- Si elle a une note de 18 sur 20 et au dessus, vous aurez votre réputation et les files d'attentes. Ça existe, j'en ai déjà vu dont la longueur faisait les cinq devantures des magasins connexes. Elles ne pouvaient pas être le fruit du hasard. C'était la récompense d'un aboutissement.
Et ça quoiqu'on en dise, quand les clients vous font savoir au quotidien qu'ils ont une satisfaction supérieure à ce qu'ils pouvaient légitimement attendre, quand vous entendez qu'ils trouvent qu'ils ont de la chance que vous vous soyez là, et non quelqu'un d'autre ça met du baume au cœur. Et la lassitude du métier - qui s'empare de tout le monde après des dizaines d'années - elle vient d'autant plus vite que l'on semble piétiner. Que l'on semble agir en vain. Par manque de reconnaissance, souvent. Je ne peux pas vraiment imaginer que ce soit différent pour les boulangers que pour tout autre profession que je connais, dont la mienne.
Et c'est là qu'il y a un traquenard.
Parce que beaucoup de boulangers s'investissent. S'investissent durement, même, au delà de beaucoup d'autres professions.
Et lorsque des dizaines d'années passent, que leur expertise les font devenir des boulangers appliquant systématiquement un bonus de +2 ou +3 à la note sur 20 finale des produits qu'ils créent, pourquoi certains sélectionnent-ils alors des matières premières de qualité relativement faible, que leur compétence certes corrige, mais pour arriver du coup tout juste à des pains simplement normaux?
S'ils avaient accru en proportion de leurs connaissances la qualité de leurs matières premières - en voulant les sélectionner sourcilleusement - l'atout de cette matière première de qualité (celle là même qui pourrait aider le boulanger débutant à "rattraper" quelque peu son pain s'il commettait des erreurs) ajouté aux capacités accomplies du boulanger lui permettrait de mettre en exergue son talent. Et de montrer ainsi: je suis un boulanger de cinquante ans, voyez ce que cela signifie d'expertise. Les clients le remarqueraient et cela soutient toujours de se savoir apprécié.
Tandis que si dans le même temps que ses capacités s'accroissent, le boulanger réduit la qualité de ses ingrédients par souci d'économie, il reste sur un pain neutre qui laissent tous ses clients indifférents.
Alors, il se sent plus facilement végéter, à mon avis. Parce qu'il risque alors d'exercer sans plaisir, faute de reconnaissance. Et tout cela pour avoir été trahi par de simples ingrédients?
Le boulanger ne doit-il pas utiliser des ingrédients toujours dignes de lui? C'est à dire, tandis qu'il s'accomplit d'année en année, devenir toujours plus strict vis-à-vis de ce qu'il sélectionne afin que ce qu'il utilise pour faire son pain le mette autant en valeur qu'il le mérite? Si par des années d'auto-formation il a su devenir le professionnel abouti qu'il est - en y sacrifiant beaucoup - pourquoi laisserait-il de simples ingrédients le poignarder?
Grunt.