Le voyage au pays du levain 3-4
3 La conservation dun bout de pâte :
Une fois obtenu une culture satisfaisante avec ce levain-chef, il suffira de conserver, un bout de pâte de la dernière pétrissée 9. Plus besoin de recommencer la culture dun nouveau levain-chef (dit « pasta madre » -pâte mère- en espagnol et en italien).
Toutefois, une des plus grande dérive de la spécificité du levain naturel consiste à garder un bout de pâte où la levure aurait été ensemencée. Il faut savoir que la levure agit très vite en contrôlant la fermentation par domination en nombre de cellules. Un gramme de levure de boulanger cest 10.000.000.000 (= 109) de cellules de levure. Pour avoir le même nombre de cellules de levure, il faudra entre 110 grammes à 50 kilos de levain. En effet, la population diffère fort dun levain à lautre, suivant la «mise en veilleuse » qua subi le levain-chef. En plus les cellules de levure du levain sont moins performantes en production de CO_ (les bulles de la mie). La conservation sans rafraîchis quotidiens ni même hebdomadaires appauvri en germes réactivables (surtout les levures) 10
Dautres paramètres de milieu peuvent influencer par après lors de la conservation répétée dun levain-chef issu de la dernière pâte confectionnée. Ainsi le sel (qui entre dans la pâte) va favoriser les microorganismes salo-résistants 11, surtout si la dose est importante. Sil y a beaucoup de nitrates dans leau, les microorganismes nitrate résistants risquent bien de faire souches 12.
Ces paramètres (sel & nitrates) sont des apports extérieurs que lon peut parfois modifier.
Dautres paramètres tiennent plus de la conservation du levain. Ainsi certains levains-chef ont été conservés pendant plus de cent ans. Cest le cas de celui perpétué par des familles basques ayant émigré aux Etats-Unis.
En mal dA.O.C., les Californiens ont redécouvert depuis 30 ans ce levain dit « de San Francisco ». Lanalyse des spécialistes microbiologistes de la côte Est des Etats-Unis a permis de voir que 2 souches de microorganismes dominaient largement.
Un type de lactobacille (qui appelleront Lactobacillus San Francisco) et une levure (Candida milleri). Tous les levains spontanés du monde entier comportent dans leurs analyses ces deux familles de microorganismes ; des bactéries lactiques et des levures. Si la constante du couple bactéries lactiques / levures se vérifie à chaques analyses, la variété des espèces, sous-espèces et dans ce dernier échelon didentification, des souches différentes se vérifie aussi. Chaques régions et chaque céréales, chaque méthodes de culture du levain ou de lensemencement de la pâte apportent leurs lots de découvertes spécifiques 13.
Cest vrai que les lactobacilles seront dominants dans la majorité des flores lactique recensées. Comme les saccharomyces cerevisae seront dominants dans les levures, encore quici laide par ensemencement exogène de levures de panification a souvent fragilisé lanalyse de lexpression spontanée de levures plus spécifiques du levain 14. En plus, sous ce nom de famille saccharomyces cerevisae entre une multitude de souches parfois incertaine et à caractères différents 15.
Levures et bactéries lactiques vont vivrent ce quil est convenu dappeler la « symbiose » Cette symbiose ne doit pas être idéalisée, elle est souvent le résultat des synergies et des antagonismes entre ces deux types de microorganismes, exactement comme un mariage est lentente résultant de léquilibre entre nos espoirs et nos déceptions communes. De quoi philosopher ! Pour le levain faisons le constat avec les études américaines très pointues. Les levures du levain de San-Franscico produisent des peptides (parties de protéines) nécessaire aux bactéries lactiques de ce même levain et elles résistent mieux à un antibiotique (lactidione) produit par ces mêmes bactéries 16. De plus les sucres de la farine, une fois dégradée en petites molécules, ne sont pas consommés de la même manière par les levures et bactéries de ce levain, il nexiste pas de compétition nutritive.
Le lactobacillus San Francisco assimile le maltose (2 molécules de glucose liées entre-elles disaccharides-) tandis que la levure qui ne sait pas assimiler ce maltose, se contentera du glucose (-monosaccharide-) 17. Ainsi il semble que plus un levain-chef est vieux, plus sa microflore est pauvre en diverses souches de microorganismes mais ceux-ci sont plus riches en complémentarité 18.
Certains auteurs pensent que plus un levain-chef est une vieille souche, plus les bactéries lactiques hétérofermentaires (celles qui produisent en plus de lacide lactique, de lacide acétique et du gaz carbonique) vont prendre le pas dans la population du levain sur les bactéries lactiques homofermentaires (celles qui ne produisent que de lacide lactique) 19.
Toutefois cette règle ne se vérifie pas toujours. Ainsi lorsque le chef « vit » longtemps sur le même substrat sans être rafraîchi quotidiennement, il semblerait que cela ne soit pas le cas 20.
Des analyses de « torsch », (levain en Iran), qui ne subissent quun rafraîchi et une maturation dà peine 1 heure _ à 2 heures pour la confection de pain plat (sangak), ont elles révélé une prédominance de bactéries lactiques sous formes de coques, les leuconostoc mensentériodes 21 dans la population bactérienne.
Et nous lavons vu ces microorganismes sont ceux qui initient souvent les lactofermentations. Une identité microbiologique qui fait penser que cette fermentation des « torsch » narrivent pas à la même maturité, mais a juste le temps dinitier la fermentation.
4 La vie reprend et est conduite dans chaque pâtes :
Un ensemencement de la fermentation de la pâte au levain naturel va jouer sur plusieurs paramètres. Deux des principaux (la dose densemencement et le temps de maturité) sont corollaire. Plus vous augmentez votre dose densemencement, plus vous réduisez votre temps de maturation. Passé huit heures de fermentation de pâte, le processus de maturation sembrique dans le processus de conservation 22.
Cest là surtout que réside lenjeu de la conduite des levains.
Des levains et non du levain ! Les meilleurs résultats en panification sobtiennent en faisant plusieurs rafraîchis avant la pâte finale. Et, curieusement pour certaines personnes, plus on met du levain, moins le pain a un goût acidulé. En effet, suivant la maxime professionnelle ancienne, il vaut mieux ; « nemployez que du levain frais et en très grande quantité » 23 .
Le levain frais est celui qui possède un pouvoir fermentaire dans son ascendant et nest pas encore trop acidifié. Il est donc une bonne force de pousse et explique un peu la nécessité de travailler sur plusieurs ( deux ou trois) rafraîchis (en allemand « dreistufen » -sur trois étages-, en néerlandais « dri-trappen » -sur trois étapes-). Une meilleure transformation des sucres de la farine et un goût plus malté, dit aussi plus miellé, en résulte.
Dans les autres paramètres qui font partie du panel du boulanger pour sa conduite de la fermentation au levain, citons la température. La température de leau quil va couler dans la pâte, accélérera ou freinera la fermentation. Cest là que le boulanger a le plus de prise sur ce procédé au levain plus soumis aux aléas de la nature quun ensemencement de levure de panification qui simpose par le nombre et est presque « mathématisable ».
Le « Handbuch Sauerteig » -Manuel du levain- livre de 500 pages consacrés au levain, dont la première édition date de 1982 et réédité une cinquième fois en 1999, a comme auteur principal Gottfried Spicher 24. Ces études très poussées ont conduit à proposer pour la fermentation de la pâte de seigle (qui a besoin dacidification pour sauvegarder ses qualités panifiables) des doses en températures entre 30°C et 35°C.
Ceci afin de favoriser les bactéries lactiques homofermentaires sur les bactéries hétérofermentaires produisant également de lacide acétique (azjinzuur, lacide de loignon en NL).
Cet acide plus volatil gène plus la levure « pressée » 25 issue des levureries et donne une acidité plus métallique ou vinaigreuse. Le type de farine et le taux dhydratation de la pâte sont encore deux paramètres qui influent sur la conduite du levain. Si le premier fait partie dun choix de recette, le deuxième peut plus faire lobjet dun choix de conduite de levain.
La « Schaumsauer » -mousse de levain- ( 2 parts deau pour 1 part de farine) comme le « poolish » procédé à la levure ( 1 part deau pour 1 part de farine) sont des processus de pré-pâtes où lon aurait remarqué que la dilution des gaz, alcool et acides produits, permettait une meilleure évolution des microorganismes. Toutefois ces procédés handicapent les professionnels qui ne savent plus évaluer et ainsi anticiper la valeur de force de pousse de la pâte.
Ce procédé de levain très liquide sera repris pour des raisons de machinabilité (il faut quil soit pompable), lors de lévolution des machines « fermenteurs à levain ».
9 « Se passer le levain » signifiait être bon voisin, Patricia ALEXIS, Doucerains, Histoire de la communauté villageoise de Doucy-en Bauges (Savoie F), éd. Bauges Diffusion, 1983, p.36. Ainsi le rafraîchissement du levain ne se réalisait pas quà chaque fournée familiale. Mais existe aussi la réflexion « ils ont gâché le levain ».

10 Des levains ménagers finlandais sur seigle sont conservés séchés depuis parfois 100 ans dans des plats en bois, au point que la tradition orale dit « quils ont la signature du charpentier ». Ils ne sont « réveillé » quune fois par mois parfois et font fermenter la pâte pendant plus de 24 heures, voir Hannu SALOVAARA, Hilpi KATUNPÄÄ & Jouko SAVOLAINEN , Une approche de classification de lactobacilles (+ Type de levures), isolés dans le levain de seigle finlandais, dans Acta Alimentaria Polonica, , vol.X, 1984, p. 231 à 246. Mais la recherche a analysé autant ces levains précités que des levains de boulangers rafraîchis plus quotidiennement. La différence entre les deux types de fabrication (ménagère et professionnelle) résulte principalement dans le constat que le nombre de germes microbiens ( surtout les levures) est nettement inférieur dans les levains ménagers.

11 Prenons ici lexemple de la choucroute, appelée en dialecte wallon « salée djote » -légumes salés-, où lon remarque que les bactéries lactiques hétérofermentaires se sentent plus à laise dans ce milieu très salé. Létude de M.AZAR citée plus bas, p. 257. signale ce fait pour ces pains plats des environs de Téhéran. Ce sera aussi le cas des pédiocoques présent dans la fermentation du « Shoyu » -sauce de soya japonaise-, mentionnée comme salo-résistante par le spécialiste américain des aliments fermentés K.H.STEINKRAUS dans Handbook of indigenous fermented foods Manuel des aliments fermentés indigènes-, éd.Dekker, 1996, p. 516.

12 Dans les microorganismes nitrate-résistants, la levure Hansenula anomala est citée par K.H.STEINKRAUS pour la fermentation de lalcool de riz japonais, le saké. Elle a été recensée dans un levain de Bretagne (région riche en eau nitratée) par M.INFANTES & J.L.SCHMIDT, Identification de la flore levure de levains naturels de panification provenant de différentes régions françaises publié dans la revue Science des aliments n°12 de 1992, p.271 à 287.
13 Petit coup de sonde dans les enquêtes microbiologiques. Dans les recherches de microbiologistes milanaises (avec notamment des pâtes riches en beurre et sucre pour panettone) on trouvera des levures Candida Stellata et bactéries en coques ; Antonietta GALLI, Laura FRANZETTI & Maria Grazia FORTINA, Isolation et identification de la microflore du levain, Microbiologie-Aliments-Nutrition vol.6 1988,p.345-351. La levure Candida Krusei se trouve principalement sur levain de seigle, voir Manuel du levain, de Gottfried SPICHER cité plus loin. Les levains « courts » en temps de rafraîchissement voient les leuconostocs dominer la flore lactique de pains plats iraniens. Le « sultani » ou levain dun pain plat égyptien, le « balady » a aussi des lactobacilles et des levures spéciales , dont une, le Géotrichum candidum, se trouve à la limite des genres levure-moisissures, voir N.El-S.M. DOMA, G.SPICHER & E.AHRENS, Recherche microbiologique et biochimique pour loptimisation du procédé de fabrication du pain Balady, revue Getreide, Mehl und Brod 8/1991,p. 240 à 247.

14 Les levures spécifiques du levain appelées parfois « sauvages » sont acidotolérantes et de ce fait plus efficiente en milieu acide que les levures vendues aux boulangers. L.KLINE & T.F.SUGIHARA, p.56 ( cité plus bas) le démontre dans un tableau.
15 Voir INFANTES & SCHMIDT, p.279. La science didentification des microorganismes a le mérite dexister, mais elle reste aussi très fragile lorsquil sagit de comparer des résultats détudes venant despaces culturels ou despace temps différents. Les dernières mises à jour des nomenclatures ne font pas toujours autorité chez chaques spécialistes de terrains

16 Un inventaire de bactériocines (antibiotique produit par les bactéries) et de leurs activités a été établi par le consultant Yves DACOSTA dans La bio-protection des aliments, lantagonisme microbien au service de la sécurité et de la qualité microbiologiques, éd. Dacosta, août 2000.
17 La levure saccharomyces cerevisae a été sélectionnée depuis longtemps par les levureries en fonction dun enjeu qui voudrait que la fermentation soit toujours plus rapide. La souche du début des levureries (milieu du XIXème siècle) issues de brasseries ou sous produit des distilleries, na déjà plus grand chose à voir avec la souche actuelle. Que dire alors des saccharomyces cerevisae du levain issu de lautofermentation de la pâte nettement moins performante en production de gaz carbonique (les bullles de la mie), que la levure vendue aux boulangers. ( Ce que relève S.BARBER & R.BÃGUENA , dans un tableau). Cette espèce de levure (saccharomyces cerevisae) et quelques autres assimilent le maltose, ce qui crée une concurrence de substrat nutritif avec les bactéries lactiques. Leo KLINE & T.F.SUGIHARA (voir note suivante) lont signalé, p.57, dans une expérience où lintroduction de saccharomyces cerevisae défavorisait la croissance des bactéries lactiques.

18 Voir les différentes études de Leo KLINE & T.Frank SUGIHARA du laboratoire de recherche dAlbany en Californie publié Nature du processus du pain français au levain de San Francisco dans les revues Bakers Digest, davril 1970 , p. 48 à 57 et Microorganismes du processus du levain de San Francisco dans Applied Microbiology de mars 1971, p.456 à 465.
19 Cest que dit Jean-Paul LARPENT dans La microbiologie de la fermentation panaire, éd. CDUIPA 1992, p.36 « lorsque le nombre de rafraîchis augmente (levains plus âgés), la flore devient majoritairement hétérofermentaire (86 à 95 % de la flore totale) »
20 Ce qui est relaté par Michel INFANTES & Colette TOURNEUR dans Etude de la flore lactique de levains de panification provenant de différentes régions françaises publié dans la revue Science des aliments, n° 11 de 1991, p.538.

21 Létude de M.AZAR, N.TER-SARKISSIAN, H.GHAVIFFEK, T.FERGUSON & H.GHASSEMI Microbiological Aspects of Sangak Bread- Aspects microbiologique du pain de « pierre » (cuit sur des galets de pierre chauffée )publiée dans la revue Journal food science and technology, vol.14 de décembre 1977, montre que parfois 85% de la flore lactique des levains appartenait à cette souche Leuconostoc. 50% du total des souches de lenquête portant sur 14 boulangeries des environs de Téhéran était des leuconostoc.
22 Les levures vont produire de lalcool, une fois 5ml. /100gr. de pâte produit, elle empêche certains microorganismes et même elles-même dêtre à laise dans le milieu. De même les bactéries lactiques vont produirent de lacide au point dinhiber et faire « hiberner » la vie fermentaire. On le sait, on conserve des aliments dans lalcool ou par acidification. Il faudra larrivée de nouveau substrat ( le rafraîchi) pour sortir tout ce petit monde de sa léthargie. Voir ; Recherche sur la symbiose ou en regardant levé une pâte au levain, publié dans Les miettes de la bio, juin 1992, p. 7 à 8.

23 Voir Antoine Augustin PARMENTIER, Le parfait boulanger, Réimpression de lédition de 1778 aux éd. Jeanne Laffitte, 1981, p. XXXI de lintro et 313 à 315.
24 Gottfried SPICHER et Hans STEPHAN, Handbuch Sauerteig (Manuel du levain), édition Berhrs, 4ème version de 1997.
25 La levure de panification est dite « pressée », par rapport aux anciennes lies de brasserie et de distillerie qui était servie liquide en pinte. Lextraction de lhumidité permettant une meilleure conservation sopérait dans un pressoir pour éliminer le maximum deau.
Auteur : DEWALQUE Marc, BoulangerieNet.
Janvier 2007 a.s.b.l. bio-panem