Autolyse 1/3


1. La nature du mot Autolyse.

2. Causes et peut-être origine du procédé ?

3. La « Quellstück » allemande, pré-pâte sans ajout de ferments.

4. La p’tite histoire de la création d’un procédé de panification



1. La nature du mot Autolyse.
Comme l’observe une traduction américaine du procédé, autolyse est utilisé à la fois comme mot et comme verbe 1 . Ce mot nous vient d’une expression scientifique un peu déroutante, l’ « auto-dégradation ». Dégradation qui est programmée par le cycle de vie de chaque plante et inscrite ici, pour autant qu’elle soit maîtrisée, en méthode naturelle de panification. S’il s’agit d’une auto-dégradation, en insistant sur le préfixe auto, maintenant, il faut impérativement laisser la farine issue de la graine vouée le plus possible à elle-même. Le moins d’intervenants sera le mieux. Surtout pas de ferments. Oh ! ce n’est pas interdit par un décret quelconque. L’appellation n’est pas contrôlée, mais il faut se donner une discipline au niveau langage lorsqu’une distinction s’impose et par la méthode et par le résultat. D’autant qu’ici, il s’agit de communiquer entre nous. L’ingrédient principal est la farine et comme il s’agit de panification, donc de pâte, le deuxième intervenant est l’eau (l’agent enclenchant la dégradation). Nous parlerons plus loin d’un troisième acteur ; le sel, complémentaire ou facultatif dans le procédé.


2. Causes et peut-être origine du procédé ?
Il faudra la mise en place de la panification en « direct » à la levure, sans levain, et ainsi pour la première fois sans pré-pâte 2 , pour que l’on s’aperçoive qu’il faut laisser le temps à la farine de s’imprégner de l’eau de la pâte. Cela se passe à la charnière entre le XIXème et le XXème siècle. Une notice des Grands Moulins de Paris sur le travail en « direct » à la levure signale que « malgré l’absence de la pré-pâte qu’est le levain, il est préférable de faire deux frases ». « Mettre la farine en une seule fois, donne toujours un moins bon résultat ». Plus loin dans cette notice, A. Brosson écrit « Arrêter ensuite et laissez reposer 4 à 5 minutes. Après ce repos, lui donner encore quelques tours, on s’apercevra que la pâte devient élastique et plus fine après chaque repos. Ajouter ensuite le reste de la farine et terminer le pétrissage par des alternatives de travail et de repos, mais beaucoup plus de repos que de travail. Ne pas faire durer l’ensemble du pétrissage ( travail et repos) plus de 40 à 45 minutes ». 3 Vers la même époque, Emile Dufour signale que pour le travail sur viennois 4 « ce n’est pas la levure qui fait le bon travail, mais le pointage ». Pour remédier au manque de force (maturité) du travail en direct, il préconise de « fraser » le _ de la pâte puis s’arrêter. Mettre le _ restant et s’arrêter encore. La mise en route s’opérera avec des arrêts entrecoupés 5. La différenciation du travail « direct » sur l’ancienne méthode au levain (se définissant dès lors comme « indirect ») a donc privé d’une certaine manière la panification d’une longue et patiente « prise en pâte » du mélange farine / eau. Celle-ci s’établissait autrefois lors des pré-pâtes successives que constituait la maturation du levain par plusieurs rafraîchis. Le pétrissage avec temps de repos se retrouvera probablement dans d’autres vieux témoignages de recettes traditionnelles. Ainsi une pâte originelle pour confectionner la « petola » 6 de la pizza est entrecoupée de pétrissage et temps de repos également 7 .
Les témoignages précédents sur l’entrée en application du travail « en direct » nécessitant un soutien technique, nous précisent qu’il ne faut pas oublier le temps de repos. Dans la réalité du pain quotidien, les bons soins du début de cette méthode ne vont pas durer et l’amputation des temps de repos va presque directement avoir lieu. A mes yeux ce sera une des origines de la méthode.


3. La « Quellstück » allemande, pré-pâte sans ajout de ferments.
Les pré-pâtes sans levure ou autres ferments se trouvent en Allemagne actuellement. Mais de nouveau, pour des pâtes de seigle en farine complète (type 170 en F, dit type 1740 en D) et même pour des pâtes spéciales en grains concassés en éclats (le « schrot ») employés complets (type 1800 en D). Les fonctions et procédés en seront un peu différents 8 . La « Quellstück » (la portion épaississante ou prenant l’eau) et la « Brühstück » ( la portion ébouillantée où les grains / farine sont trempés dans l’eau à ± 70°C) 9 seront vues brièvement. Ceci afin de mieux éclairer, quand elles le peuvent, le procédé d’autolyse. Les deux procédés (Brüh- & Quell-stück) ne se cumulent pratiquement 10 pas dans les recettes, mais sont presque toujours en complément d’un levain. L’ébouillantage ou « Brühstück » 11 est juste une pré-pâte sans ajout de ferment et n’aura que cette similitude de « monenclature » avec l’autolyse. On s’attardera donc un peu plus sur la « Quellstück ». Il s’agira de faire prendre l’humidité à ces produits de mouture, c.à.d. autant des « schrote », des restes de pains séchés que des matières alimentaires fibreuses. Ceux-ci sont préparé en une pré-pâte liquide 12 ( 1 litre pour 0,750 à 1 kg. de « produits céréaliers »). Trempés pendant 2 à 24 heures dans de l’eau plutôt fraîche ne devant pas engendrer une fermentation spontanée lors de sa conservation à température ambiante 13 . Cette pré-pâte contient de 20 à 40% des « produits céréaliers » du total de la pâte. Le sel est rarement introduit dans cette pré-pâte 14 . Une fonction « verquollen » ( = prendre l’eau) 15 bien définie par le mot « Quellstück », pour ce procédé qui concerne l’intégralité du grain de seigle ( en tout cas plus en fibres) plutôt que de la fine fleur blanche de froment.


4. La p’tite histoire de la création d’un procédé de panification
Si l’autolyse n’était pas une méthode naturelle de panification et si l’initiateur n’avait pas aiguisé un esprit plus généreux qu’accapareur, je crois que l’autolyse serait suivi d’un petit ® avec royalties pour Raymond Calvel. Et il serait tombé dans le domaine commercial plutôt que dans le patrimoine commun des boulangers appelé « savoir-faire ». Mais, ouf ! nous sommes en France en 1974 et non aux « States » en 2002 lorsque le professeur Calvel fait état de « l’influence de l’autolyse naturelle des pâtes en panification » 16. Il poursuivait là une expérience que les terribles aléas de la météo avaient enclenché en 1956. Terrible ce début d’année 1956, autour de –20°C. Les amandiers, les vignes et les oliviers sont « brûlés » par une forte gelée. Les froments (blés) d’hiver aussi. Dès lors il faut envisager de ressemer du blé de (et au) printemps 17. Un important stock de blé de printemps du Manitoba (CDN) peu productifs sur terres françaises fut employé non pas comme semence, (il y en eu en suffisance), mais passa en mouture. « Si la force de farine de gruau extraite de ces blés canadiens étaient comparable à celle d’avant-guerre, il n’en était pas de même de leur valeur boulangère. Les variétés n’étant sans doute plus les mêmes. » Pour neutraliser un excès de force qui entraînait mauvais développement et grigne et un coup de lame qui ne « jetait pas », le professeur de l’école de meunerie eu l’idée de faire une pré-pâte sans levure la veille et l’incorporer au pétrissage après un repos de 13 à 14 heures. L’essai fut positif « j’eus l’agréable surprise de retrouver les petits « tires-bouchons » 18 et les baguettes de gruau des années 1930 » écrit-il.



1 Voir Maggie GLEZER qui traduit autolyse par le mot anglais « resting » soit temps de repos.

2 Malgré un fouille je ne trouve aucune trace de pré-pâte sans ferments dans les deux premiers traités professionnels du XVIIIème de MALOUIN & PARMENTIER.

3 Roland GUINET, p.113. Cette notice date des environs de 1910 et de la lutte contre le travail de nuit.

4 Le travail « sur viennois » est le nom du travail sur levure, en « direct » ou pas, au début de l’introduction de celle-ci en boulangerie parisienne. Le travail « sur français » étant le travail sur levain.

5 Emile DUFOUR, p. 21.

6 La « petola » (= pan de chemise en italien) est le non donné à la pâte qui soutient les ingrédients de la « pizza »

7 Une pâte fluide où est diluée un peu de levure (probablement du levain à l’origine) repose _ heure. Après le pétrissage, repos de deux heures et repétrissage et façonnage de la « petola ». Voir Rosario BUONASSISI, p.60 et 61.

8 Dorian WEIPERT & Jürgen-Michael BRÜMMER résume dans un tableau, p.91, les différences de qualité entre la farine de seigle type 1150 en D proche des 80% en taux d’extraction et la farine de froment type 550 en D dit type 55 en F (± 73% en taux d’extraction). Il est bon de savoir que le froment comporte 7 à 13% de protéines comme le seigle, mais dans le froment le pourcentage des protéines insolubles est supérieur. La farine de froment contiendra 6 à 7% de pentosanes pour 7 à 9 % pour la seigle. Ce qui permettra aux matières épaississantes précitées de donner un avantage au seigle dans l’absorption d’eau par rapport au froment ( 6 à 8 X pour le seigle et 2 X pour le froment). La gélification de l’amidon de froment s’opère vers 60 à 88°C et celle du seigle plus tôt à 56 à 68 °C. Les risques de germination sur pied et de trop forte activité enzymatique sont plus forts pour le seigle que pour le froment.

9 Franz-Josef STEFFEN dans Brotland Deutschland (traduction libre: Pains régionaux allemands) signale encore dans son répertoire des pré-pâtes sans ferments, la « nullteig » à traduire par pâte pour hosties (oublies) ou pâte azyme, mais sans reprendre cette pâte azyme comme procédé par après.

10 Voir J.M.BRÜMMER & G.MORGENSTERN, p.155 qui signale que le choix entre la « Quellstück » -portion épaississante- et la « Brühstück » -portion ébouillantée- est dépendante de l’activité enzymatique des matières premières. Comme la « Brühstück » à l’amidon partiellement gélifié par l’ébouillantage, la fonction d’agglutination de l’amidon n’est plus disponible pour la formation de la mie. C’est pourquoi la « Quellstück » est plus avantageuse lors de la mise en œuvre de matières premières en activité enzymatique.

11 F.J. STEFFEN, emploi chaque fois le mot « Brühteig » lorsque c’est de la farine uniquement qui est bouillie. « Brühstück » est employé plutôt lorsque le schrot, le son et les flocons sont la partie qui est ébouillantée.

12 Pour le « schrot » ou grains concassés en éclats on parle même d ‘ « égrénage fluide ». Voir le chapitre « Seigle » pour une meilleure compréhension de la panification allemande.

13 Gottfried SPICHER & Hans STEPHAN p. 34 & 35 parlent de fermentation néfaste et non souhaitée jugulée s’il le faut par adjonction d’acétate. Pour ces auteurs, dans le cas d’ajout de levain, on parlera de levain et non de portions épaississantes ou « Quellstück ».

14 Treize recettes sont répertoriées dans le tableau 1 en annexe. Elles proviennent du livre de F.J.STEFFEN (douze) et de J.M.BRÜMMER & G.MORGENSTERN (une, la n°5). Seules 3 contiennent du sel. Il s’agit de 2 recettes sur les 3, qui contiennent majoritairement du froment et d’ 1 où la « quellstück » est conservée 12 à 20 h. et fait près de 30% du poids de farine total de la pâte.

15 J.M.BRÜMMER & G.MORGENSTERN signale p. 155 que pour obtenir un effet absorbant, il faut un long temps de pétrissage (environ 30 minutes) et un long temps de repos (30 à 90 minutes).

16 Cette publication de 10 pages du Bulletin des anciens élèves de l’école française de Meunerie de décembre 1974 servira de fil conducteur à notre dossier.

17 La différence entre blé d’hiver et blé de printemps pourrait se résumé (un peu de trop) à leur date d’ensemencement. Pour approfondir voir au chapitre culture.

18 Il s’agit de petits pains de gruau incisés de trois coups de lame faisant penser à la vrille du tire-bouchon.