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Pause café avec le blé de Pologne

Posté : mercredi 11 mars 2009, 12:22
par Marc
Il existe des vrais et des faux blés polonais.
Tout d’abord que veut dire «polonais» au cours de l’histoire.
Le généticien, spécialiste en céréales Stefan SYMKO, dans un chapitre sur l’ «Histoire du blé ukrainien», signale que lorsque qu’une partie de l’Ukraine occidentale était «occupée» par la Pologne, c’était avant 1772, le blé importé était inscrit sous le nom de "blé polonais", pas d'Ukraine, ce dernier pays n'acquit son indépendance que récemment, fin du XXème siècle. D’où d’après l'ukrainien S.SYMKO, ce nom assez général de «blé de Pologne».
La Pologne a vu ces frontières se changer assez bien ces derniers siècles, elle était située plus à l'Est autrefois.
En fait beaucoup de variétés de blés anciens réputés que ce soit de France (blé Noé), du Canada ( blé Red Fife), des Etats-Unis (blé Turkey) proviennent d’Ukraine occidentale ou orientale.
Un blé de Pologne est déjà renseigné par A.A.PARMENTIER, dans son Traité complet sur la fabrication et le commerce du pain, fin XVIIIème siècle, comme «le plus recherché des blés venant du Nord », il s’agirait probablement ici, d’un blé tendre de printemps .

Il existe un piège pour les personnes qui veulent identifier clairement par la classification scientifique qui définit dans les variétés de blé dur (durum wheat en anglais et Triticum turgidum durum en latin), le triticum polonicum qui est différent au niveau génétique et technique (2 paires de 7 chromosomes tandis que le blé tendre ou froment actuel à 3 paires de 7 chromosomes).
Mais cela on ne le saura que moitié du XXème siècle, lors de la découverte des chromosomes, bien que le test de "mise sous la dent" en vigueur autrefois repérait facilement la dureté ou le côté tendre des blés.
Ce blé dur ci, était d’ailleurs surnommé en Amérique «Diamond Wheat» = blé diamant, vu la dureté qu'il avait dans ce test "sous la dent".
M.PELIGOT différencie en 1849, lors d’une des premières enquêtes sur la composition du blé, le «blé Poolish Odessa» venant de la «Pologne russe» et le blé «de Pologne» originaire de…l’Afrique septentrionale.
H.VILMORIN nous donne une autre description en 1880: «Le blé de Pologne n'est guère cultivé, en dépit de son nom, que dans le nord de l'Afrique et en Algérie ».
Michel CHAUVET dans son catalogue en ligne de l’exposition «Les céréales en Egypte ancienne» va éclaircir cet énigme en écrivant «Le "blé de Pologne" n'a jamais été cultivé en Pologne. Son nom scientifique résulte d'une confusion -du classificateur- Linné entre la Galice, région d'Espagne où il était cultivé, et la Galicie, région située au sud-est de la Pologne et à l'ouest de l'Ukraine. Les deux régions se disaient Galicia en latin, et Linné a dû relire hâtivement ses notes ou ses planches d'herbier... ».
Comme quoi, on peut être une sommité scientifique dans un domaine qui devrait mettre de l’ordre (la nomenclature) on n’est pas à l’abri d’une erreur.
Il nous faut quand même reconnaître les difficultés que dut rencontrer Carl Von LINNE en 1753 lorsqu’il publia Species plantarum (les espèces des plantes) où il décrit en deux volumes environ 8000 végétaux différents pour lesquels il met en application de manière systématique la nomenclature à double nom latin que nous utilisons encore et dont il est le promoteur.
Michel CHAUVET donne aussi un des noms allemand du blé (dur) de Pologne ; «Riesenroggen» soit «seigle géant» puisque l’épi est effectivement impressionnant en taille et que ce critère de choix devait lui donner une prévalence dans les choix variétaux d’ensemencement ; malgré que ce soit surtout la cosse qui est impressionnante, le grain n’étant pas lui proportionnel à l’emballage.
Un photo d'un des plus grand blé, le blé dur polonicum à côté du pichoto espèuto ou "petit épeautre" de Haute Provence qui lui peut revendiquer d'être un des plus petit.
Un autre blé dur que l’on a classé dans un premier temps sous l’appellation scientifique «triticum polonicum» est celui qui est plus connu sous l’appellation « légendifiée » "Kamut" suivi d’un petit ® (= âme de la terre) et dit parfois trop vite d’origine mystérieuse.
En fait, la probable prise de blé dur d’un soldat U.S.en campagne et rapporté chez ses amis agriculteurs puis redécouvert par après, n’était qu’un blé dur que l’on trouve couramment en Afrique du Nord.
Aujourd’hui, on le classe plus justement, toujours comme un blé dicoccocum (2 paires de 7 chromosomes), mais du nom de Khorasan (qui est une province au nord de l’Iran).
Il a suffit d’un long marketing pour dépasser en réputation le nom de l’espèce qui était son nom d’origine.
Et malgré l’envoi de recours juridique pour défendre l’utilisation du nom Kamut ® , le blé Khorasan n’a pas peur de vous le dire en regardant en face, quasi droit dans les yeux.
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Re: Pause café avec le blé de Pologne

Posté : lundi 16 mars 2009, 21:43
par Estebane
une fois de plus bravo marc

tu dois surement connaitre mais je le signale pour les autres internautes intéressés par l'histoire des blés, de la sélection et des initiatives actuelles menées par des chercheurs, paysans ou boulangers autour des blés paysans :

un livre de témoignages édité par le réseau semences paysannes sorti en juin 2008
"voyage autour des blés paysans" 16 euros

http://www.semencespaysannes.org/nos_pu ... os_118.php

Re: Pause café avec le blé de Pologne

Posté : samedi 15 févr. 2014, 08:10
par RFEUILLAS
Lorsque l'on manipule tous les jours du blé pour moudre sa propre farine et que vous passent en main, pour la première fois, des grains de Khorasan, on est comme frappé par un étonnement, une certaine stupéfaction.
En effet, le grain est le plus souvent deux fois plus gros qu'un grain de blé tendre courant, presque translucide.
On imagine sans peine que ce fut la première réaction de celui à qui l'on doit le fait de s'être tant engagé et tant investi pour développer le "Blé de Khorasan de la marque Kamut (c)".
Dans les années 2000 - 2005 durant lesquelles je cherchais partout tout ce qui touchait les blés de variétés anciennes pour imaginer en faire la base de mon métier, j'avais une aversion profonde pour ces américains qui s'étaient octroyés le droit de déposer une marque sur du blé vivant, patrimoine de l'humanité, pur fruit de Mère Nature et du travail des hommes. Quel scandale !
Je me suis intéressé aux caractéristiques de ce blé, en phase culturale, en passage au moulin, en panification, en bénéfice au consommateur (santé sur le plan innocuité, organoleptique, apports nutritionnels).
J'ai donc commencé à travailler des Khorasans, c'est d'ailleurs sur ce Blé que j'ai pris pleine conscience qu'à l'intérieur d'une même variété les différences d'un cultivar à un autre pouvaient être énormes.
Je me suis aussi rendu compte, mais cela je l'avais déjà grandement constaté, qu'un même cultivar cultivé de manières différentes et en des lieux différents donnait des résultats totalement différents.
Je me suis donc rangé à l'évidence que si les méthodes culturales et les sites de productions changeaient radicalement les blés alors les données santé sur le plan innocuité, organoleptique, apports nutritionnels étaient aussi totalement différentes.
Me voici donc consterné... Que faire, comment faire si l'on veut savoir et être à peu près certain de ce que l'on fait ingérer à ses clients ?
Ha en voila une question : être à peu près certain de ce que l'on fait manger à ses clients ? Une question énorme, une question de fond, oui !
Sur cette question j'ai acquis une certitude, profonde, de celles dont on sait que l'on ne s'en départira jamais.
La boulangerie au sens le plus large du terme en serait révolutionnée totalement si la plupart des boulangers prenait à coeur cette conscience.
D'abord à mon sens il n'y aurait que du Pain BIO. Oui ! Qui peut encore tolérer - et se dire artisan - de faire manger des pesticides ravageurs pour la santé humaine dans son Pain ?
Le Pain qui incarne tant de symboles mais aussi fruit d'un tel engagement, d'un tel travail, d'un tel don de soi pour le Boulanger ?
Alors comment faire pour savoir ? Se servir de la science ? Oui un peu de science. Vous me direz la sphère boulanger et la sphère science ont une zone intersécante proche de l'ensemble vide. Pas sûr du tout ! Le fournil commun est aujourd'hui pur fruit de la science (nature des blés, méthodes culturales, moutures, traitement des farines, mécanisation du fournil, etc.). Et puis comme disait François Rabelais "Sapience n'entre point en âme malivole, et science sans conscience n'est que ruine de l'âme." Pantagruel » (1532). Alors serait-il donc possible de mettre un peu de science, bien placée, juste, digne et dont la focale serait bien de... savoir ce que l'on fait manger à son client !
J'ai finalement fini par m'intéresser au travail du consortium Kamut et cherché à comprendre ce qui se cachait derrière cette marque.
Quand j'ai acquis la certitude qu'il n'y avait pas du tout de brevétisation du vivant derrière cette démarche. Que la marche était bien justement une volonté de "marquer" un produit pour garantir au client quant à la nature et le contenu de ce qu'il allait ingérer, j'ai revu tous mes jugements et relations avec le Blé de Khorasan de la marque Kamut (c).
J'ai donc reçu les responsables du consortium et obtenu une licence pour écraser ce blé en mon Moulin.
Quand j'ai reçu le premier lot de ce blé (en provenance du Canada et ne me rétorquez pas l'aspect "impact carbone" qui nécessiterait une prose encore plus longue que celle-ci pour vous démontrer que dans cela aussi le discernement est de rigueur et que la problématique est très bien gérée) j'ai immédiatement vu qu'il n'était pas du tout comme les plus de trente Khorasans passés entre mes mains, entre les meules de mon moulin, en mon pétrin et en mon four.
Quand j'ai cuit les premiers pains, rien qu'à la vue et l'odeur j'ai vu une différence énorme avec tous les khorasans ci-dessus évoqués.
Quand j'ai vu les documents d'analyses extrêmement détaillés, précis, je n'ai pu qu'être rassuré, comblé de trouver une voie qui répondait à mes questionnements et me montrait la voie à suive assurément pour mes propres cultures et propres blés.
Précisons que ces analyses sont fournies par lot et que justement l'accolement au sac de blé de la marque ne se fait que si le blé contenu répond à toute la critériologie Kamut (c).
Ces analyses apportent par lot détaillé la certification sur la pureté variétale et l'appartenance à ce cultivar précis de Blé du Khorasan.
La composition exacte des apports en éléments nutritionnel dont le fameux sélénium tant recherché par les adeptes de ce blé.
Ce sélénium constituant bien un atout primordial en faveur de ce cultivar précis.
Rappelons que sélénium il ne peut y avoir que si ce blé pousse sur un sol contenant... du sélénium.
Je trouve désastreux qu'aujourd'hui le marché français soit plein - il suffit de faire un tour sur les marchés ou en biocoop pour s'en persuader - de pains étiquetés "Kamut" qui sont peut-être du khorasan dont la pureté variétale resterait à prouver (aucune analyse...) et qui ne contiennent aucun sélénium assurément car cultivé sur un sol qui n'en contient pas.
Je trouve malhonnête que bien des personnes assurent au client haut et fort (il m'arrive d'être client...) que leur khorasan est du "Kamut", qu'il est même mieux car cultivé localement, bénéficient des efforts commerciaux et techniques investis par le consortium pour faire connaître ce blé que personne ne connaissait il y a vingt ans - ou très très peu - en Europe et fasse du business sur ces blés en haïssant tout ce qui peut paraître business...
Pour l'anecdote je vous invite à faire un test de ce que procure le sélénium sur le métabolisme. Mangez de nos pâtes fraîches 100% Blé de Khorasan de la marque Kamut (c) le soir et vous allez voir.
Quant à oser proférer que l'application d'une noble science sur la démarche Kamut relève des charlatans qui en faisaient montre pour vendre leur "élixir" au XIXè siècle, là on est carrément dans l'ignominie...
J'ai encore bien d'autres éléments pour appuyer et attester de tout l'intérêt de cette marque qui, rappelons-le, n'a vocation qu'a rassurer et garantir la qualité de ce grain au consommateur dont bien peu se préoccupent dans la filière...
Mais mon texte est déjà bien long et j'espère ne pas vous avoir lassés.
Je voudrais aussi aller sur le terrain de la taxonomie de ce blé. Mais ce sera une autre fois.