Les bûches à levures du Nord de l'Europe
Posté : dimanche 29 sept. 2024, 11:39

Les bûches à levures de l’Europe du Nord
Ou l’ensemencement de ferments avec l’aide de bois perforés

Dans les recherches de ferments brassicoles ou panaires, il est peut-être intéressant de faire mention de pratiques anciennes reléguées aujourd’hui dans des témoignages historiques devenus parfois difficile à cerner et vouées pour ainsi dire à disparaître.
C’est le cas des levures de fermes norvégiennes, des pays baltes ou de Finlande pour faire de la bière.
On utilisait souvent des bûches en bois de hêtre ou l’on aménageait des encoches pour que les colonies de levures - kveik pour créer la fermentation alcoolique puissent se «nicher» afin de garder d’un brassin à l’autre la souche de levures ou la souche de levain de culture mixte (fermentation alcoolique liée à une fermentation lactique) pour la fermentation de kvas (boisson légèrement fermentée et pétillante élaborée à partir de pain) ou levains de panification. Ces levains se dénomment raugo en Lituanie et rauga en Lettonie et signifie quasi agent de levée ou starter de fermentation. Plus proche de la culture finlandaise l’Estonie appellera le levain ; juuretisest et en Finlande c’est l’expression kokotusaine qui est utilisée pour agent de levée (1). Voilà de quoi établir une différence culturelle entre ces divers états de la mer baltique, ce qui n’est pas toujours évident à comprendre .
Dans la tradition populaire en Finlande, des levains ménagers sur farine de seigle sont conservés depuis parfois un siècle dans des plats avec bûches en bois perforée, au point que la culture populaire dit «qu’ils ont la signature du menuisier» (2) .
On retrouve un autre témoignage historique à l’entreprise Böcker à Minden en Wesphalie, une firme pionnière dans la fabrique de levains séchés ou vendus sous d’autres états avec la présentation d’une fiche d’un brevet déposé par la firme en 1908 . Sur la patente figure un tuyau de hêtre perforé posé dans la cuve du fermenteur. L’outil de Böcker dénommé «appareil pour acidifier la pâte et substrats similaires» dérivait d’un petit activateur fermentaire pour la fabrication du vinaigre (3).

C’est à l’époque un moyen de récupérer la souche de microorganismes, comme pour la mère de vinaigre ou autres produits fermentés plutôt liquide et d’avoir une certaine reproductivité dans la production d’un produit se commercialisant.
Les levures pour ensemencer la fermentation alcoolique des bières de fermes norvégiennes (kveik) employaient ce procédé (4). Peut-être faut-il préciser que chaque produit fermenté a ces propres microflores. Si l’on voulait éviter d’avoir une bière aigre que l’on voit parfois mentionnée dans les archives (5) ou qui existe encore sur le marché belge, (type de bière lambic donnant après assemblage les bières dites gueuzes), il ne faut employer que des levures et exclure les bactéries. Cette domination des levures se réalise parce que l’alcool produit va en quelque sorte tuer ou inhiber les autres microorganismes ne sachant pas supporter de fortes doses d’alcool en s’attaquant aux fragiles enveloppes des autres microorganismes (bactéries et autres espèces de levures) et provoquant souvent la lyse (destruction) de ceux-ci.
Comme on voulait promouvoir l’industrie brassicole fin du XIXe siècle, l’encyclopédie Roret sortait en 1875 un nouveau manuel du fabricant de levure (6) où l’on débroussaillait un inventaire des connaissances à approfondir. Notamment sur : les diverses matières premières fournisseuses d’amidon, sur «la connaissance intime de la substance à laquelle on applique le nom levure» classée alors dans les mucédinées, sur la température nécessaire «pour mettre le brassin en levure», sur les procédés de production de levure venant de Hollande, de Saxe, du nord de l’Allemagne et de Vienne.
Lorsque la science microbiologique s’attaqua aux problèmes de la brasserie afin d’éviter les contaminations des levures souches mères souhaitées, il fallu attendre fin du XIXe siècle les découvertes de l’équipe de Louis Pasteur (7) puis du danois Emil Christian Hansen, ce dernier, était laborantin-chercheur à la brasserie Carlsberg de Copenhague. Le danois E.C. Hansen détermina l’application scientifique de la science microbiologique naissante pour la purification des souches en 1883. Il parvient à isoler les souches (8) et ainsi à organiser des cultures de levures de souche pure pour ensemencer les brassins.
Pour l’industrie de la brasserie s’en fut fini des problèmes des maladies infectant la fermentation, du moins une certaine maîtrise des ensemencements microbiens se mit en place et les ferments «spontanés» de levures locales disparaîtront ou ne demeureront que sous forme de niches.
Et peut-être tant pis pour la biodiversité des levures aujourd’hui parquées frileusement dans des banques de données, notamment celles du National Collection Yeast Cellules de Norwich en Angleterre.
Sources:
(1) D’après document de la CE 133/2008
(2) Hannu SALOVAARA, , Hilpi KATUNPÄÄ & Jouko SAVOLAINEN, Une approche de classification de lactobacilles (et) Type de levures, isolés dans le levain de seigle finlandais, dans Acta Alimentaria Polonica, vol.X, 1984 ., p. 231-246.
(3) G. BÖCKER, Grundsätze von Anlagen für Sauerteig, soit, Principes de base des équipements pour le levain, publié dans le Handbuch Sauerteig, Behr’s Verlag, 2006, p. 329-331.
(4) Odd NORDLAND, Brasseries et traditions brassicoles en Norvège : le contexte social et anthropologique de l’industrie brassicole, Universitetsforlaget, 1969 ; Extrait de Kveik : Levure fermière norvégienne | Larsblog (garshol.priv.no)
(5) Jacques GODECHOT, La vie quotidienne en France sous le directoire, Editions Hachette, 1977, p. 27
(6) M.F. MALEPEYRE, Nouveau manuel complet du fabricant de levure, publié à la Librairie encyclopédique de RORET, 1875, 302 pages.
(7) Voir les divers travaux de l’équipe de Louis Pasteur sur les fermentations lactiques en 1857, sur la fermentation alcoolique en 1860, sur la fermentation butyrique en 1861, sur la fermentation acétique en 1864, ces études sur le vin en 1866 et 1873, sur le vinaigre en 1868, sur la bière en 1876.
(8) BRUGGEMAN S.A., Usine de spiritueux et de levures, Aperçu technique et historique de la fabrication de levure de boulangerie, édité par la société précitée de Gent (B), sans date, reçu vers la fin des années 1980 p. 6.
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