Les mycotoxines des céréales 0-1-2



0. Le " mal des ardents "


On pourrait dire que le dossier des mycotoxines (toxines produites par des moisissures) commence très tôt.
Dès le Xème siècle en France, dans le Limousin, l'on trouve la trace qui marque le plus dans l'histoire. A l'époque on l'appellera le "mal des ardents" ou le "feu de Saint-Antoine" [1] du fait que les personnes atteintes se plaignent qu'un feu interne les rongent. Il faudra attendre pratiquement une dizaine de siècle pour classifier l'origine du mal avec l'implication des moisissures. [2] 

Aujourd'hui, l'on sait que l'ergot est du à un champignon (Claviceps Purpurea) qui n'est pas exclusif au seigle. Cette dernière céréale étant du fait de sa végétation, davantage sujette à l'infection de ce champignon, parce que plus "ouverte" à la floraison et aussi par le climat souvent plus humide où on le cultive.


Très nette est la visibilité de la partie apparente et végétative (les sclérotes) de l'ergot, dit de seigle, et dénommée ainsi par sa ressemblance avec l'ergot du coq. Cela fait que l'on peut aisément imaginé la mise hors circuit alimentaire d'un lot trop infesté. En général c'est par ignorance et en période de disette que ces lots évitaient autrefois le déclassement. Ce qui actuellement, par la responsabilisation des acteurs dans la filière agro-alimentaire, est pratiquement difficile à imaginer.

Ergot sur seigle
aux Pays-Bas
Photo
d'Inneke Berentschot
publiée
dans l'article
"L'ergot"
Revue
"les miettes de la bio"
N°4 & 5, mai 1993,
Pages 21 & 22

1. Les mycotoxines des céréales


Ce n'est vraiment que depuis la moitié du siècle précédent que la connaissance plus globale des mycotoxines prend forme. En 1944, apparaît de nombreux cancers du foie dans l'élevage porcin. Après, c'est 100.000 dindons qui périrent en 1960, sur le sol britannique. [3] Le diagnostic d'hépatite aiguë est aussitôt posé. Et après enquête scientifique, la recherche de la cause de la maladie X du dindon, identifiera l'aflatoxine comme responsable. Cet aflatoxine est une toxine produite par des moisissures (des Aspergillus ou des Penicillium) [4] . Mais alors seul l'aflatoxine d'Aspergillus flavus est mis en cause.



Les moisissures "Aspergillus" d'une taille de 4 à 5 millièmes de millimètre,
doivent leurs noms à la forme d'aspersoir qu'elles peuvent prendre

Comme toujours, une science ne cesse d'évoluer. Si l'appellation "mycotoxine" est moins précis qu'"aflatoxine", cette dernière sera baptisée avec en plus la distinction en ajout "Alflatoxine B1" puisqu'il en existe d'autres qui ont moins de toxicité que celle-là. [5] Il faut encore savoir que pour q'une moisissure Aspergillus flavus produise sa toxine, il lui faut en conditions optimum de développement une température de 35 à 37°C et une Aw (activité de l'eau) de 0,85, [6]  autrement d'autres microorganismes prennent le dessus.
Les conditions précitées sont celles de milieu tropical, pas de contrées tempérées comme nos pays. Ce sont des tourteaux de soya et d'arachides d'importations récentes, qui sont responsables des intoxications d'élevages de 1960 en Grande-Bretagne. Le problème des aflatoxines est ainsi souvent un problème lié à l'importation de denrées alimentaires ou fourragères. Pour les mycotoxines que l'on rencontre sur le terrain en Europe occidentale ce sera plutôt d'autres que l'aflatoxine présente surtout sur les épices et fruits secs (genre pistache et cacahuètes). [7] 

En production européenne, on sera plus attentif aux toxines produites par la moisissure de l'espèce Fusarium [8] et aussi des moisissures dénommées Altenaria, ainsi que certaines Penicillium et d'autres Aspergillus. Les toxines de Fusarium ont donné lieu à une veille sanitaire débouchant dernièrement sur des règlementations européennes. Les moisissures Fusarium [9] sont appelées ainsi du fait que leurs spores [10] sont réunit dans une forme de fuseau.


Représentation du Fusarium graminerum
(Extrait d'un ouvrage coord. par, LARPENT, 1990)

Un peu moins repérable que l'ergot dit de seigle, la maladie occasionnée par le genre Fusarium (la fusariose) se remarque en produisant souvent une coloration sur l'épi tirant vers le rose.
Epis atteint de fusariose
(Cliché INRA)


Reprenons dans un tableau les moisissures et leurs toxines susceptibles de coloniser les champs de céréales.


Liste non exhaustive des moisissures et toxines


Ce tableau datant de 1997 et doit déjà bénéficier d'une mise à jour (les up-dates des programmes informatifs ne sont pas seuls). En effet, les toxines de Fusarium ont une classification plus précise aujourd'hui. Les trichothécènes se subdivisent en désoxynivalénol (DON), appelée encore parfois de son premier nom Vomitoxine puisqu'elle provoque notamment l'envie de rendre. Il existe aussi des formes dites acétylées de trichotécènes, dénommée nivolénol (NIV). A part ces deux trichothécènes, les Fusariums peuvent produire d'autres mycotoxines, les zéralénone (ZEN) [11] et les fumonisines (FB). [12] 
Dans le tableau ci-dessus, nous trouvons également l'ochratoxine produites par deux types de moisissures différentes [13] et que l'on observe dans des climats froids et humides, (CAHAGNIER, 05/2001, p.23). Après ce recensement un peu succinct des mycotoxines, voyons ce qu'elles peuvent provoquer et à quelle dose.


2. La toxicité et la réglementation


Ce qu'il faut surtout savoir en matière de mycotoxines, c'est que si la moisissure est tuée à la cuisson, les mycotoxines elles sont thermorésistantes et résistent à ce que l'on pourrait croire être épurateur par effet de pyrolyse (CAHAGNIER, 05/2001, p.23, RICHARD-MOLARD & CAHAGNIER, p.408). [14] Notons qu'en cas de lots infestés, on peut parfois nettoyer les grains par triage (GROSJEAN, 12/2006, p.12). La technique consiste à éliminer les grains fusariés (plus petits et rapetissés) que vous remarquez à droite sur le cliché ci-dessous.




Dans le cas de figure où l'on ne s'aperçoit pas de la contamination et au seul cas de dépassement de doses de mycotoxines ingérées, l'effet carcinogène est reconnu pour l'aflatoxine, [15] la stérigmatocystine, [16] l'ochratoxine ou des fumonisines . Le cancer du foie est recensé plus fréquemment en Afrique et en Asie, à cause du climat et implicitement de plus fortes présentes d'aflatoxine.
Ces dernières avec les patulines [17] et les ochratoxines peuvent attaquer les cellules du foie (hépatotoxicoses), mais également les cellules de l'autre organe filtreur de notre appareil digestif, qu'est le rein.
Les mycotoxines peuvent également, détruire le système nerveux (neurotoxicoses) par les patulines et fumonisines et pour finir la gamme de leurs potentialités toxicologiques, des mutations génétiques (les trichotécènes), des malformations de l'embryon ou effet oestrogène (par les Zéréalénone) peuvent être provoqué par elles. Quand à l'ergot dit de seigle c'est la mycotoxine la moins alarmante au niveau de la dose (voir Tableau plus loin). [18] 

Pour que tous ces risques deviennent réalité, il faut consommer une certaine dose qu'il est difficile, si pas impossible de fixer pour chaque individu. [19] 

Ce qui est certain, c'est qu'il vaut mieux les éviter. Surtout pour les enfants en bas âge puisque la dose toxique est en fonction du poids corporel qui l'ingère et dès lors il risque d'atteindre plus vite les seuils nocifs. La référence pour les doses reste la législation européenne en la matière qui a pris en compte ce qui est d'abord une recommandation avant d'entrer dans la législation comme directive. Cette directive, comme beaucoup, a évolué en fonction de l'état des connaissances.

Le tableau qui suit (de F.GROSJEAN, 12/2006, p. 11) reprend des textes européens [20] qui devait s'appliquer depuis 2007 pour l'alimentation humaine (l'alimentation animale a d'autres textes et indications). [21] Les doses du tableau qui suit sont données en µg = microgramme, soit 0,000 000 001 kg/ sur un kilo de matière alimentaire. La dose d'aflatoxine B1 a ne pas dépassé pour des préparations d'enfants en bas âge est de 0, 1 µg. Heureusement dans ce dernier cas que les techniques de dosages sont devenues plus fines, précises et sensibles (CAHAGNIER, 05/2001, p. 24).




Notes:


[1]

L'ergot dit de seigle dans l'histoire
1) Toutes ces dénominations proviennent d'une interprétation populaire, qui en Suède par exemple, se verra qualifié de "preaching sickness" -maladie de la prédication ou du sermon- (C.BILLEN & col., p. 103). La consommation pendant quelques jours, de farine infestée de 3 à 10% peut donner deux types de symptômes, soit gangréneuse (jusqu'à la perte de membres), soit convulsif avec hallucinations. Cette deuxième forme aurait peut-être donné l'explication de la très spécifique procession d'Echternach au Grand Duché du Luxembourg datant du XIème siècle, qui se réalise en farandole en se tenant par des foulards et en progressant en effectuant un grand pas en avant suivi de deux petits pas en arrière.



Toutefois les substances des sclérotes de l'ergot de seigle sont utilisées très tôt en médecine savante en Chine et aussi en Allemagne où l'ergot sont connus sous le nom de "Mutterkorn" -trad, grain de la mère- de par son emploi en contrôle et accélération des accouchements, en permettant des contractions de longue durée de l'utérus et des vaisseaux sanguins qui l'irriguent.



[2]

Une des premières mentions de l'ergot est due à Adam Lonitzer dit Lonicerus en 1582, dont voici une des nombreuses réédition datant de 1679



Dans ce passage de LONITZER, l'ergot porte le nom latin de "Clavi Silignis" qui pourrait se traduire par "massue du blé". C'est Edmond TULASNE qui en 1850 rattacha le mal à sa véritable cause, il baptisa également la moisissure "Claviceps" responsable de "purpurea", (pourpe) Encyclopédie , Jean LEDERER, Tome IV, p.64



[3]

Encyclopédie , Jean LEDERER, Tome IV , p.52



[4]

Pour les Aspergillus les espèces, flavus, niger, parasiticus, wentii et pour les Penicillium les espèces, citrinum, glabrum, variabile. Voir: Moisissures utiles et nuisibles, J.P. LARPENT, p.104, 108, 111, 119, 168, 176, 188



[5]

Deux microgrammes (0,000 000 002 kg.) d' aflatoxines B1 est la valeur maximale autorisé par la CEE , c'est même 1 microgrammes pour les céréales infantiles et 4 microgrammes pour les mélanges d'aflatoxines B1, B2, G1 et G2. (F.PEYRUCHAUD, p.20)



[6]

L'activité de l'eau (Aw) nécessaire à la vie
LARPENT Mémento de microbiologie, p.90, 264 et 265. Pour mesurer le niveau d'eau nécessaire à l'activité de la vie, ce qu'il importe de connaître, n'est pas le degré d'humidité, mais le degré de la pression de la vapeur du milieu par rapport à la pression de l'eau distillée à la même température.
Cette mesure de pression de la vapeur (ou Water activité résumé en Aw) donne les possibilités de vie à migrer dans le produit alimentaire. Ainsi dans un grain de blé, nos ancêtres savaient (sans cette mesure Aw) que le grain se conservait bien grâce au peu d'humidité qu'il contenait.



Voilà quelques Activité de l'eau (Aw) des microorganismes et produits recensés dans cette problématique des mycotoxines des céréales.
PRODUITS Aw Sources infos
  Maximum= 1
Mimimum =0
J.-P.LARPENT
& J.F.MESCLE
Pain 0,93 à 0.98 Artic. Larpent 90
Farine 0.60 à 0.85 Artic. Larpent 90
Céréales 0,70 Artic. Larpent 85

MOISISSURES Aw Sources infos
Aspergillus flavus 0.78 Article Mescle.
Fusarium
0.90
Article Mescle.



[7]

L'aflatoxine dans l'alimentaire en 1998
Alfa Toxine et sa bande est le titre d'une enquête du bimestriel Test Santé en novembre 1998. Avec le soutien de la communauté européenne, cette enquête a analysé des pistaches iranienne incriminée un an avant pour leur forte teneur en aflatoxine et en plus un panel de l'alimentaire. Résultat les fruits secs avait 2 échantillons contaminés sur 21 analysés, 0 échantillons contaminés pour 68 céréales analysées, 13 contaminés pour 18 épices analysées, 0 échantillons de lait et produits dérivés contaminés pour 65 analysés, 0 échantillons de café contaminés pour 15 analysés et 0 échantillons de fruits contaminés pour 15 analysés.



[8]

C'est en période de disette, à la guerre et l'après-guerre, (1941 et 1947), que des auteurs russes signalent les dégâts créés en Sibérie orientale par les Fusariums. 10% de la population est atteinte. La consommation en 6 semaines d'un kilo et demi de millet infecté suffit pour provoquer lamaladie qui peut être mortelle si elle n'est pas soignée à temps par des transfusions et des doses de vitamines C et K, des sulfamides et du calcium. LEDRER, p. 60 & 61.



[9]

Là aussi, des mises à jour sont nécessaire pour connaître les appellations utilisées. avec précision scientifique. Le Fusarium roseeum est plus une expression générique du fait que beaucoup de Fusarium donne souvent une couleur rose grisârte à rouge au début et fini avec une couleur plus proche du brun. C'est le cas du Fusarium graminearum. Certains Fusariums (le F.culmorum, le F.moniliforme, le F.oxysporum) commencent leur colonisation avec des teintes plus blanches à jaunâtre et finissent avec des couleurs saumon à violettes. Certaines souches de Fusarium sont génétiquement incapables de produire des trichotécènes, (GROSJEAN, 7/2005, p. 4).



[10]

La sporulation
Les microorganismes comme les moisissures peuvent vivrent comme sous une forme d'hibernation (vie au ralenti) afin de résister aux conditions défavorables de l'environnement c'est cela que l'on appelle la sporulation. Ces spores sont disséminés comme les graines de pissenlit (bien décrit par l'emblème du dictionnaire Larousse) et lorsque les conditions redeviennent favorables (température et humidité ad hoc) la vie reprend.





Les moisissures et leurs mycotoxines
[11]

Les zéralénones (ZEN) sont produites par les Fusarium graminearum et Fusarium colomorum, (GROSJEAN, 7/2005, p. 4).



[12]

Les fumonisines (FB) sont rencontrées principalement sur maïs (CAHAGNIER, 5/2001, p. 28) et sont produites par les Fusarium verticillioides Fusarium proliferatum (GROSJEAN, 7/2005, p. 4).



[13]

Les ochratoxines sont produites par les moisissures Aspergillus ochraceus et Penicillium viridicatum. (CAHAGNIER, 5/2001, p. 22)



[14]

D'après D.RICHARD-MOLARD & CAHAGNIER, elles sont thermostables jusqu'à 150ºC, mais est-ce que 150ºC est une généralité ?



[15]

L'aflatoxine est produite par les Aspergillus flavus ou Aspergillus parasiticus (CAHAGNIER, 5/2001, p. 22)



[16]

La stérigmatocystine est produite par l'Aspergillus versicolor (CAHAGNIER, 5/2001, p. 22)



[17]

La patuline ne concerne pas que les jus de fruits commercialisés, mais aussi le blé, le maïs et la paille (CAHAGNIER, 5/2001, p. 22)



[18]

Le mal de l'ergot dit de seigle était si fréquent autrefois dans les terres humides de la Sologne, qui est appelé "mal des solognots" par Pierre LAROUSSE dans son dictionnaire en 15 volumes du XIXème siècle, tome VII, (vers 1870).



[19]

Réglementation européenne et mycotoxines
F.GROSJEAN, 12/2006, reprend p. 10, dans un tableau les textes législatifs français et européens en matière de mycotoxines.



[20]

F.GROSJEAN, 12/2006, les reprend p. 13, voici.



Le règlement de la commission européenne sur les mycotoxines est téléchargeable en PDF sur:
http://eurlex.europa.eu



[21]
(RICHARD-MOLARD & CAHAGNIER, p. 403)



Auteur : DEWALQUE Marc, BoulangerieNet.