La vanille

Chaque jour, nous consommons des épices sans trop savoir ce que ce mot signifie. Pourtant, de l'Antiquité au Moyen-âge, les épices ont été aussi précieuses que l'or. Elles ont provoqué autant de conflits et suscité autant de convoitise. Lorsque Christophe Colomb recherchait des appuis pour financer son expédition aux Indes, il promit d'ouvrir une route des épices et non une route de l'or. Aujourd'hui, elles ne sont plus l'apanage des dieux, on les cultive, on les récolte et on les consomme.
Parmi les condiments qui parfument notre quotidien et qui caresse nos papilles de leur délicieux arôme, la vanille est la deuxième épice la plus coûteuse après le safran. On l'utilise sous différentes formes et on la retrouve aussi bien dans la composition d'un parfum que dans notre assiette sans nous en rendre compte.
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Qu'est-ce que la vanille ?
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La vanille est une liane parasite de la famille des orchidées. Elle possède des racines terrestres et des radicelles aériennes, qui lui permettent de se fixer au tronc d'un arbre tuteur. La liane craint le soleil. Aussi, lorsque les rameaux atteignent le sommet de l'arbre, ils redescendent et se laissent pendre avant de remonter vers la lumière. A l'état sauvage, une liane de vanille peut mesurer jusqu'à 15 mètres de long. Elle affectionne particulièrement les terrains sablonneux, ombreux et humide. C'est pourquoi on la retrouve naturellement dans les clairières et les lisières de forêts.
Les lianes de vanille sont plantées par bouturage au pied de tuteurs qui leur serviront de support. Les premières fleurs apparaissent au bout de deux ans. Ephémères et fragiles, les orchidées à la couleur jaune vert fleurissent par balais de dix à douze bourgeons, qui pointent à la naissance des feuilles. Une liane peut produire jusqu'à quatre balais durant la saison de floraison qui s'étale de juillet à septembre. Les fleurs, une fois fécondées, donnent des gousses oblongues qui ressemblent au haricot vert et qui contiennent des milliards de graines.
Il existe plusieurs dizaines de variétés de vanille. Parmi lesquelles, la vanille Bourbon, que l'on appelle également vanille « planifolia » ou « fragrans », aux longues gousses fines qui sont produites à Madagascar, aux Comores, à Mayotte, à La Réunion et en Indonésie. La Guyane, la Martinique et la Guadeloupe fournissent la vanille « pompona », qui produit des fruits larges et courts. La Polynésie française, quant à elle, cultive la vanille « tahitensis », qui donne des gousses plus charnues. On peut également citer la vanille noire, qui est surtout consommée en infusion ainsi que la vanille rouge, très prisée par l'industrie.
Toutefois, deux d'entre elles sont les plus réputées et les plus cultivées : la vanille Bourbon et celle que l'on appelle la « Tahitienne ». Selon les spécialistes, la vanille Bourbon donne un meilleur parfum. Elle est utilisée surtout comme matière première industrielle. Quant à la vanille tahitienne, qui est plus huileuse et réputée pour ses qualités physiques et sa texture, elle est également commercialisée sur le marché alimentaire.
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L'origine de la vanille
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L'histoire et le succès de la vanille seraient liées étroitement au cacao. Comme le cacao, la vanille est originaire dAmérique centrale. Elle foisonne au Mexique.
En langue aztèque, la vanille était appelée « tlilxot chitl », ce qui signifie « gousse noire ». Il faudra attendre plus d'un siècle pour qu'un Européen lui donne un nom aux consonances latines et prononçables pour l'Occident.
Selon l'écrivain Nicolas Bouvier, la première mention de la vanille se trouverait dans les Chroniques du souverain aztèque Itzcoalt (1427-1440). Les Aztèques connaissaient la préparation pour que lépice conserve son arôme et ils l'utilisaient probablement depuis des siècles dans la préparation de boissons cacaotées afin d'adoucir lamertume du chocolat.
C'est le conquistador espagnol Hernán Cortès qui a rapporté les premiers plants de vanille mexicaine en Europe, après son voyage aux Amériques en 1518. D'après le témoignage d'un officier, lorsque Hernán Cortès et ses soldats entrent dans la ville de Tenochtitlan, qui s'appellera plus tard Mexico, l'empereur aztèque Montezuma leur aurait offert un breuvage au chocolat vanillé dans des gobelets en or. On pouvait également trouver des gousses de vanille parmi les bijoux et les parures en plumets.
Les Précolombiens utilisaient la vanille comme diurétique et comme dépuratif. Ils lui attribuaient des vertus aphrodisiaques et curatives. Dans dautres pays, comme en Côte dIvoire, la vanille était recommandée pour ses propriétés médicinales contre les rhumatismes, les otites, la fièvre et même contre lhystérie et la dépression.
On raconte quaujourdhui encore, sur des lisières et dans des clairières de Vera Cruz, quelques Indiens continuent de cultiver et de préparer d'après des recettes ancestrales les gousses de vanille à demi sauvage, qu'ils échangent contre de la monnaie en argent. Puis, ils enterrent la moitié de leur gain pour respecter un ancien usage aztèque qui veut que l'on rende à la terre une partie de ce qu'elle nous a donné.
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La culture vanillière
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Les boutures de vanille font le tour du monde à partir du XVIème siècle. Les plants gagnent l'Espagne puis l'Angleterre et la Hollande. Il faudra cependant attendre deux siècles encore avant de voir fleurir le premier vanillier, en provenance de la Caraïbes, en 1807 dans la serre de Charles Greville à Padington. Par un miracle que rien n'explique, cette liane produit des gousses. Les botanistes de l'époque croient enfin tenir la vraie vanille aromatique mexicaine, cependant ils mettront quelques années encore avant de s'en assurer.
En 1812, on trouve de la vanille dans quelques villes de France comme Anvers, puis Paris. Les vanilliers parviennent même sur l'île de La Réunion en 1793 et vont faire de l'Océan Indien, le plus grand producteur mondial de vanille. Cependant, il reste encore un obstacle à élucider : les lianes fleurissent mais ne donnent aucun fruit.
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Le "mariage"
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Pourquoi la vanille ne produit-elle pas ? Les botanistes ont mis plusieurs années avant de s'apercevoir, que pour la vanille, les organes mâles et femelles de la fleur étaient séparés par une membrane étanche que l'on appelle le « rostellum ». Au Mexique, c'est l'abeille Mélipone, insecte endémique dans la région, qui féconde la fleur de vanillier.
Ce nest quen 1836, que le botaniste belge Charles Morren découvre la pollinisation artificielle de l'orchidée. Quelques années plus tard, en 1841, sur l'île de La Réunion, un jeune esclave noir, Edmond Albius, parvient seul à trouver comment se substituer à l'abeille Mélipone. Sa méthode est expéditive mais simple : il faut marier les fleurs à la main. Elle consiste à abattre délicatement le rostellum avec une épine de citronnier ou un éclat de bambou, puis d'exercer une légère pression sur la fleur pour que le pollen saupoudre et féconde les organes femelles. L'opération doit être réalisée le jour même de la floraison sur les fleurs les plus vigoureuses de l'épi.
La fleur s'épanouit dès le lever du soleil et ne dure que quelques heures. Le « mariage » doit donc s'effectuer rapidement le matin. Précision et rapidité sont de rigueur, car il y a des centaines de milliers de fleurs dans la plantation. Il faut marier le plus de fleurs possible afin d'obtenir une bonne récolte de gousses. Grâce à cette découverte, la vanille est désormais passée de son aire d'origine à son aire d'adoption.
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La production
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Dans la Caraïbes
En Guadeloupe et en Martinique, la production de vanille a débuté vers les 1839. Les plantations étaient assez importantes. En 1918, les exportations de vanille de la Guadeloupe ont atteint près de 45 tonnes.
A La Réunion
A La Réunion, les premières plantations ont été timides, car l'économie s'appuyait surtout sur la culture du sucre de canne et du café. L'île a exporté son premier quintal de vanille traitée vers la métropole. En revanche, à Madagascar, l'orchidée a très vite prospéré et est devenue une véritable ressource économqique, plaçant l'île au premier rang de fournisseur mondial de vanille avec une production dépassant les milles tonnes.
En 1998, cette production mondiale se situait autour des 800 tonnes, dont Madagascar fournissait plus de la moitié. Le principal consommateur était alors les Etats-Unis, qui ont acheté les deux tiers de la production pour aromatiser leurs ice-creams et leur Coca-cola.
Face à la vanille de Madagascar, dont la productivité supplante toutes les autres variétés cultivées, au fil des années, les grandes plantations ont disparu peu à peu à la Réunion, aux Antilles et en Polynésie. Aujourdhui, il ne reste plus que de petites exploitations familiales.
En Polynésie française
En Polynésie française, les premiers plants de vanille sont introduits à Tahiti en 1848 par l'amiral Hamelin, commandant de la frégate La Virginie, de retour de son voyage aux Philippines. Deux ans plus tard, un autre amiral, qui se prénommait Bonnard, importe des boutures de vanille Bourbon et de la vanille antillaise : la « pompona », issue de la serre du jardin des Plantes de Paris. De différents croisements habiles, va naître la vanille « tahitensis » dite tahitienne, riche en composantes aromatiques.
Les premières grandes plantations apparaissent vers 1880 et la production atteint rapidement des rendements importants. A cette époque-là, Tahiti produit jusqu'à 300 tonnes de gousses séchées par an. En Polynésie française, les grandes plantations de vanille sont situés dans les Iles-sous-le-Vent, sur les îles de Huahine, Rai'atea et Tahaa, que l'on a surnommé « l'île vanille ».
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La récolte
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Pour la vanille tahitienne, la cueillette s'effectue neuf mois après la fécondation réussie, lorsque le fruit arrive à maturité et prend une couleur jaune brun. En revanche, la variété Bourbon doit, quant à elle, être récoltée dès le septième mois. Si l'on attend trop longtemps, la gousse commence à brunir et à se fendre pour libérer les minuscules granules noires. Bien qu'elles soient toujours de couleur verte, les gousses sont mûres et peuvent mesurer entre 15 et 20 centimètres.
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La préparation des gousses
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La préparation de la vanille se déroule sur une période d'environ six mois. Elle demande beaucoup de patience, de la rigueur et du savoir faire, car elle consiste à favoriser le développement de l'arôme et à rendre la gousse apte à une longue conservation.
Les fruits fraîchement récoltés sont entassés dans un endroit frais et sec jusqu'à ce qu'ils soient entièrement brun. Ils sont ensuite lavés à l'eau claire. A La Réunion, après la cueillette, les gousses peuvent être également trempées dans de l'eau bouillante afin de les faire blanchir. Elles sont ensuite laissées à sécher au soleil.
Partout ailleurs, les gousses sont exposées au doux soleil du matin, trois à quatre heures par jour, pendant plusieurs semaines. Après la séance de bronzage, la vanille, qui est encore chaude, est entassée dans des draps, puis mise en caisses afin de favoriser sa transpiration. Au cours de cette opération, les gousses vont perdre plus de la moitié de leur poids et se rider.
C'est là que le « préparateur » intervient. Il va travailler chaque gousse en la lissant et l'aplatissant entre le pouce et l'index. Le « préparateur » est un homme important, dont les connaissances résident dans une longue l'expérience qui lui donne le coup d'oeil et le toucher voulu pour contrôler et sélectionner chaque gousse, une par une. Il supervise toute cette phase qui permettra de rentabiliser ou de faire perdre le travail de l'année. Il faut en effet tout mettre en oeuvre pour éviter que, pendant le séchage, phase de jour et phase de nuit, la vanille ne se pique, ne prenne des champignons qui la noircissent et détruisent son parfum. Il faut surveiller les différentes évolutions subies par la gousse. La vanille doit être brune, lisse, brillante jusqu'à la mise en botte.
Lorsque la vanille est suffisamment "ensoleillée", on la fait séjourner dans un endroit ombragé et aéré pour que son degré d'humidité diminue.
La dernière étape de préparation est déterminante. Elle consiste à affiner la vanille selon une méthode secrète propre à chaque préparateur. C'est au cours de cet affinage que se relèvent aspect, goût et fragrance.
La vanille est enfin prête à être consommée. Il ne reste plus qu'à lier par bottes les gousses selon leur taille et leur qualité, de les empaqueter et de les vendre.
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Glaces à la vanille, huiles parfumées à la vanille
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Pour le plaisir de notre palais, la vanille peut être mangée à toutes les sauces et de diverses manières. En entrée, avec une salade de crudité arrosée dune vinaigrette vanillée, en plat de résistance, avec un succulent poulet rôti dans sa sauce à la vanille, ou encore en dessert, avec un soufflé accompagné dune glace du même parfum.
Lépice nest pas utilisée seulement en pâtisserie. On la retrouve en cosmétologie, notamment dans la fabrication de baumes à lèvres, de lotions purifiantes et de produits de bain. On se parfume également à la vanille. En 1889, le parfumeur Guerlain crée le premier parfum moderne, renfermant des extraits de vanille : Jicky. Suivra ensuite une longue liste de créations en parfumerie utilisant la vanille, parmi lesquelles N°5 de Chanel, Arpège de Lanvin, Must de Cartier et Opium dYves-Saint-Laurent., et bien dautres parfums tout aussi prestigieux
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La nature et son double
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Vendue à un prix élevé, la vanille est une épice très recherchée. Pour la rendre plus accessible des chimistes ont reconstitué son goût et sont odeur en créant de la vanille de synthèse. Cette fabrication chimique a fait tomber les marchés économiques de production pour lexportation. Cette création a été réalisée vers la fin du XIXème siècle.
En établissant la composition chimique de la vanille, les chercheurs découvrent une molécule aromatique que lon appellera : la vanilline. Cette molécule serait à lorigine de larôme vanille. Ce sont de fins cristaux qui apparaissent sur les extrémités des gousses lorsque le fruit est arrivé à maturation ou au cours de la préparation.
Dès lors, à la vanilline naturelle, on a voulu substituer la vanilline préparée artificiellement en laboratoire, donc moins cher. Lextrait de vanille de synthèse est surtout élaboré à partir de lessence de clous de girofle que lon traite par différents procédés chimiques.
Si la vanille artificielle coûte moins chère et occupe une place importante sur les marchés industriels, les consommateurs et les professionnels de lagro-alimentaire, de la parfumerie et de la cosmétologie continuent eux dutiliser exclusivement le produit naturel. Rien ne vaut une belle gousse de vanille parfumée de soleil.