L'ÉVOLUTION DES BLÉS TENDRES ET DE LA PANIFICATION AU COURS DE L'HISTOIRE RÉCENTE.

Pour l'a.s.b.l De Bouche à Oreille, Thimister, le 25 octobre 2014


Le texte qui suit a comme prétention d'apporter un discernement sur la problématique du gluten et du pain.


Au mieux, pour l'impartialité d'une intervention, on ne souhaite évidemment pas apporter une réponse tout faite, fabrique d'opinion. Seulement une instruction supplémentaire, mais l'objectivité restera toujours une cible à atteindre comme les horizons qui n'arrête pas de se succéder à nos projections. D'autant qu'ici, je dois signaler que je suis boulanger et en tant que "faiseur de pain", j'éprouve, comme beaucoup, une lourde appréhension lorsque l'on scie la branche "professionnelle" sur laquelle on est assis.

Ce sera des renseignements en plus, simplement parce que les raccourcis obligés que nous recevons de l'information en général, ne nous fournit pas un approfondissement sur l'évolution de notre pain quotidien.

Or, s'il y a bien un aliment qui a une trajectoire historique, c'est le pain.

Plusieurs points allant de la sélection de la semence de blé à la cuisson du pain, devraient faire partie d'avis plus fouillés sur ce thème pour lequel, on se posent des questions aujourd'hui.

  • L'évolution de la sélection de la semence (vers la rentabilité et la qualité technologique)

  • Dès le moment où la technique génétique permet de maîtriser le croisement entre des variétés différentes, de blés (fin du XIXème siècle), la semence devient un produit commercial qui s'installe dans le rapport semenciers-agriculteurs. Le secteur semences proposera surtout une amélioration de rentabilité (qui se multipliera par 10), tentera d'améliorer la résistance aux maladies végétales et va également rechercher d'améliorer la qualité technologique. Aucune vision sur les aspects nutritionnels et gustatifs.

  • L'évolution de la sélection de la semence (vers le raccourcissement des tiges)

  • Comme le rendement à l'hectare ne cesse de croître par le port sur l'épi d'un plus nombre d'épillets, ceux-ci, contenant toujours plus de graines et celles-ci étant plus grosses, la tige va plier par le poids à porter. D'autant plus, que le semis plus serré offre plus d'humidité au sol, fragilisant le pied face aux attaques de moisissures. La plante blé s'est ainsi raccourcie dans sa taille et pourtant le grain se remplit à ± 50 % de matière venant de la tige et des feuilles. La baisse de la tige du blé est passée d'1m. 60 cm à ± 60 cm., n'apportera pas autant de nutriments prédigérés par la culture. Il existera une recherche d'un retour des blés à hautes tiges pour le mouvement dit de "sélection participative" qui unit chercheurs et agriculteurs en réfléchissant la sélection en partant du champs.


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  • L'évolution de la sélection de la semence (vers le transgénique)

  • Le commerce des semences s'est concentré fortement de par l'achat des maisons d'obtenteurs par les grands groupes venant de la pétro-chimie. Ceci, afin de proposer un kit semences-intrants (engrais de synthèse & pesticides) qui plus est, brevetés (et donc non ré-utilisables). Le tout "fidélisant la clientèle agricole " par défauts d'alternatives légales abordables normativement et économiquement. Il faut dire que pour 1 €uro de semences, il en existent plusieurs de produits dits intrants.

  • L'évolution de la sélection de la semence (la change de la donne au niveau classement)

  • La recherche scientifique n'évoluant plus en termes d'études fondamentales, mais en partenariat obligé avec le privé, va jusqu'à orienté le classement des protéines du blé. Passant d'un ordre établi sur base de la solubilité à une gradation orientée par la grosseur moléculaire, intéressante au niveau ténacité de la pâte. Celle-ci permettant une mécanisation intensive et un répondant après le vécu d'une surgélation.

  • L'évolution de la sélection de la semence (vers les blés anciens)

  • La sélection des semences de blé, qui n'était que conventionnelle n'a plus apporté que des graines adaptées à des réceptions forcée de fertilisants et de soins souvent anticipés de produits "phytopharmaceutiques", diminuant la microflore ou vie du sol. Comme l'agriculture biologique soignait sa fertilisation par des techniques culturales (assolement et précédent agricole adéquat), les semences conventionnelles ont eu de moins en moins la potentialité de rhyzophérer, d'aller chez la nourriture de la plantule dans le sol.

  • L'évolution de la culture (apport de fertilisants)

  • La modélisation de la fertilité dans la céréaliculture conventionnelle va conduire vers des apports fractionnés et étalés sur toute la période de culture. Ces apports fractionnés de nitrate vont jusqu'à modifier les teneurs en acides aminés des protéines, par rapport aux valeurs protéiques anciennes, qui étaient plus nutritives. Ces apports intensifs augmenteront dangereusement les teneurs en nitrates de l'eau potable

  • L'évolution de la mouture (de l'écrasement entre meules aux passages entre cylindres)

  • La mouture sur cylindres a la capacité d'extraire les parties qui rancissent le plus rapidement, mais qui sont aussi des parties très nutritives. Commercialisées à part, elles seront mieux valorisées par la meunerie.

  • L'évolution de la mouture (d'un pain d'une mouture sans tamisage au sacro-saint pain blanc)

  • Le choix d'un pain nutritif est principalement un choix de consommateur, puisque plus on tamise (blute) la farine, moins celle-ci comportera des vitamines (± 5 fois moins) et de sels minéraux (± 3 fois moins). On décide souvent la carence en voulant "purifier" et "blanchir".


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  • L'évolution de la panification (transfert de l'oxydation de la fermentation vers le pétrissage)

  • Les méthodes de panification vont petit à petit se transférer d'une oxydation lente par fermentation (en orange sur le tableau) vers une oxydation rapide par le pétrissage (en bleu sur le tableau). Et encore, quand il n'y a pas ajout d'adjuvants oxydants proposé par les fournisseurs d'ingrédients.

Ces derniers améliorent la vie du boulanger (comportant il faut l'avouer, une pénibilité) mais par forcément la qualité nutritive et gustative.

  • L'évolution de la panification (l'intensification du pétrissage)

  • Si professionnellement, le pétrissage manuel n'est plus possible de nos jours, il reste la base de la réflexion du mélange de la farine, eau, sel et ferments. On est passé dans le pétrin mécanisé, à des bras métalliques effectuant 30 à 45 rotations par minutes à 80 à 220 rotations par minutes sur un demi-siècle. En industrie, on ira jusqu'à 700 rotations par minutes avec obligatoirement un pétrin fermé par un couvercle.

  • L'évolution de la panification (la surgélation, ce qu'elle implique)

  • Le fait de vouloir proposer un pain chaud à toute heure, va impliquer une cuisson différée par la surgélation. Si l'on congèle à cru, on est pratiquement obligé de faire l'impasse sur la fermentation avant la vie au froid négatif. C'est moins vrai, lorsque l'on congèle précuit. Ce long passage à un froid intense va engendrer un ajout d'additifs assurant la texture et le développement ainsi qu’une dépense énergétique nettement supérieure.

  • L'évolution de la panification (l'abandon des longues fermentations)

  • L'abandon de la méthode de panification au levain naturel vers des méthodes rapides à la seule levure de panification, va engendrer une moindre dégradation des molécules (d'autant qu'elles sont plus grosses). Un espace pré-digestif et même l'espace goût vont se réduire considérablement.

  • L'évolution de la panification (vers l'industrialisation, moins d'artisanat)

  • La profession de boulanger est une des rares qui comporte encore une production industrielle et une production artisanale. Souvent même, l'une améliore l'autre et inversement. Depuis le début de la révolution industrielle, la volonté politique (dans le sens grec du terme) a agit pour promouvoir la production industrielle. Plus de main d'œuvre coûteuse ne permettant pas des réductions de prix et l'augmentation des frais fixes par une hausse importante des normes. L'exclusion de la petite entreprise est comme inexorable

  • L'évolution de la panification (la dégradation enzymatique)

  • Dans les deux dernières décennies, le secteur des fournisseurs des matières premières boulangères a fait migrer l'ajout d'additifs au sigle européen étiquetés, vers les enzymes effectuant les mêmes effets d'accélération des processus et assurance de texture. Ces enzymes, auxiliaires technologiques, ne doivent plus faire l'objet d'une publicité obligatoire auprès du consommateur, puisque normalement, ils disparaissent lors de la transformation. La volonté d'occulter l'information sur les enzymes, exogènes de la farine, ne permet pas d'ouvrir le débat sur ces ajouts. Principalement pour les boulangers plus sujet à allergies de la farine sous forme d'asthme ou eczéma professionnels.

  • ü L'évolution de la médecine (maladie pas toujours bien définie et parfois auto-prescrite)

  • Les maladies dont le blé peut être impliqué sont au nombre de trois. L'asthme et/ou eczéma et la maladie cœliaque sont cernés depuis longtemps. Après diagnostic, ces deux maladies permettent des solutions, si on peut dans le premier cas avoir moins de 4 milligrammes de poussière de farine au m³ et dans le deuxième cas, moins de 0,02 gramme de gluten dans l'aliment ingéré. Depuis une décennie, une troisième forme de disfonctionnement s'inscrit, c'est l'allergie (digestive) au gluten, dite non cœliaque. L'amplification via un "marché qui s'ouvre" nécessite encore beaucoup de précisions au niveau de la cause strictement nutritionnelle. L'étiquetage obligatoire, "contient du gluten", a toutefois comme confirmé auprès du consommateur, l'allerginité de ce composant du blé.


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    • Pour résumer ce parcours historique de la culture et de la transformation du grain au pain.

    • Une accélération des processus se remarque, pénalisant la dégradation des molécules qui justement deviennent de + en + importante en tailles, ceci parfois permet de "gagner son pain" avec moins de pénibilité.

    • On pourrait presque paraphrasé une parole d'évangile "Faut-il encore à notre époque, gagner le pain à la sueur de son front ?".

    • Savons-nous encore séparé les avantages des désavantages que la société nous procure ?


Un test simple à portée de mains

La problématique du gluten s'amplifiant (surtout médiatiquement), il est peut-être utile de rappeler que nous avons un test simple que nous pouvons opérer nous-mêmes

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Il s'agit de l'extraction du gluten par lixiviation (dissoudre sous un mince filet d'eau de toutes les parties solubles ) en ne retenant ainsi que les parties non solubles de la farine, c'est à dire; le gluten. C'est un exercice très "parlant". On mélange dans un plat de manière assez ferme 100 gr. de farine et +/- ½ dl. d’eau (que vous pouvez salé légèrement, comme une pâte à pain), on peut finir quand la pâte n’adhère plus de trop à la paume.

On laisse un temps de maturation de la pâte s'opérer (bonnement 1 à 2 heures). En fait c'est ce qui permet aux protéines du gluten de se lier grâce à l'oxydation.

Après, on la passe sous un petit filet d’eau froide en la comprimant légèrement entre les doigts, avec une passoire recueillant le gluten, qui va se souder à lui-même par le malaxage. Le plat en dessous du tamis recueillant l’eau résiduelle. L'eau se chargeant de l'amidon et des protéines solubles, il est bon de renouveler l'eau, parce que chargée d'amidon, elle ne saura pas autant dissoudre.

Il vous faudra +/-7 fois le volume d'eau pour arriver à extraire totalement les quelques +/- 10% de parties insolubles de la farine. Celles-ci avec, l'eau captée sont augmentées d'une charge pondérale multiplié par +/- 3.

Ce qui donne une idée des besoins en eau du procédé d'extraction industrielle, qui sont important et polluant de manière organique (DBO =Demande de Biodisponibilité en Oxygène), problème solutionné en station d'épuration par des bassins de décantation où les levures font merveille.

Mélangez encore dans un linge ou au-dessus d'une passoire (moins difficile à nettoyer que le tamis par après) pour extraire tout à fait l’amidon du gluten. Il est probablement nécessaire, lorsque vous avez une substance qui commence à se "grumeler" et difficile à dissoudre plus, à attendre encore un temps de maturation par oxydation, (l'air de rien, ça permet de comprendre et de "lire" un peu la vie d'une pâte).

Recommencer à dissoudre sous le filet d'eau et vous aurez au bout de cette simple expérience une substance grisâtre et glutineuse qui n'a rien de bon en goût, que vous pourrez offrir après comme jouet aux gosses.

C'est comme une pâte "slime", cette pâte dégoulinante que les enfants approche en jouant et riant de sa structure qui s'allonge sous l'effet d'un simple jet.


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Autre test à effectuer avec ce bout de gluten extrait de la farine, celui dit du "voile de gluten" ou "fenêtre de gluten", qui vous donne une idée de l'extensibilité du gluten.

Prenez quand même le temps, avant d'offrir aux enfants le résultat de votre expérience, d'effectuer le final du test en pesant la quantité d'éléments insolubles obtenus par rapport au poids de farine de départ et de diviser par 2,85 ce gluten humide pour trouver le taux de gluten sec, celui dont on tient compte dans la farine.

Le test deviendra d'autant sérieux, si vous comparer vos différentes farines en calant toujours le même protocole avec le même type de farine au niveau tamisage, pour vos "examens".


Pour tout contact concernant ce texte; dewalque@boulangerie.net