VII. 1. LE CHOIX DE L’EAU.



VII. 1. 1. Eau…trefois (avant la distribution d’eau)



Nos deux sources habituelles du siècle des lumières ; Malouin et Parmentier 1 se distinguent de nouveau surtout sur le thème de l’eau.

Malouin récoltant les informations de terrain, émet les discours les plus colportés : « Une eau croupissante est plus mauvaise qu’une eau coulante » ou « Les eaux de pluie sont plus légères, mais sont sujettes à se corrompre». Il invoque que la légèreté ou l’aération de l’eau est une qualité de l’eau pour le pétrissage.

Les exemples précis sur le terrain ne manque pas dans le témoignage de Malouin. Mais même s’ils sont évoqués avec certitude é(t)patente, ils se contredisent ou se perdent en conjonctures. Cela rend confuse l’attestation de qualité d’eau pour la pâte à pain.

Un peu après lui, A.A.Parmentier expérimente. Il prend 5 eaux différentes (eau de rivière, de puits, de pluie, de fontaine et distillée), avec la même farine et même pâte et on obtient le même pain.

Pour lui, les préjugés que l’eau de rivière est la meilleure, l’eau de pluie la plus légère, l’eau de puits la plus lourde, tout est faux.

« Lorsque l’eau entrera dans la composition d’une substance qui doit subir le mouvement de fermentation, elle change comme elle de manière d’être, elle n’agit plus par elle-même ».

« A Paris, les ¾ des boulangers font le pain à l’eau de puits et il est un des meilleures d’Europe ».



VII. 1. 2. Eau de là



L’avenir qui se profile largement à l’horizon donne à la problématique de l’eau le titre ronflant d’ « or bleu du XXI sc. ». Si le Canada dispose de 1.000.000 m³ d’eau par an et par habitant, au point d’en exporter vers les Etats-Unis d’Amérique, dans les pays arides, par an et par habitant on ne dispose actuellement que de 1.000 m³ .

La demande croissante face à la rareté des sources et la pollution de celles-ci inscrit une prévision pessimiste d’un milliard d’être humain en situation de pénurie en 2025, soit 14 fois plus qu’actuellement 2.

La libéralisation du marché de l’eau et la situation en Californie par exemple 3 ne laissent pas présager un avenir facile à l’accès à l’eau pour tous les habitants de la planète 4.

Une meilleure gestion de l’eau avec contrainte financière à l’appui n’est pas difficile a pronostiquer. Des changements d’attitude face à sa consommation seront inévitables Il est difficile ici ( mais, pas inutile ) d’émettre toutes les démarches responsables déjà entreprises cernant les meilleurs usages pour les inévitables nettoyages nécessaires aux bons entretiens des locaux, vêtements & hygiène corporelle exigée pour la salubrité publique.

L’eau de pluie non épurée peut dans un circuit séparé épargner la consommation d’eau de distribution. Si l’eau de la Terre (réservoirs de surfaces ou souterrains « se fatigue de laver nos excès (voir chap.VII.1.4.), l’eau du ciel peut prendre le relais » 5.

En effet, l’eau de pluie semble être une alternative de plus en plus étudiée dans les pays de nues goutteuses. Contrairement aux préjugés, l’eau des averses récoltées en citerne contient moins de nitrates et restent à teneurs faibles en micro-polluants atmosphériques 6.

Si l’emploi entre dans le circuit alimentaire, il est évident également qu’une épuration suit la récolte d’eau de pluie et élimine les résidus cités plus haut. Je vaudrais simplement émettre une réflexion au cas où l’écrit pourrait être détonateur en citant une comparaison.

Un(e) africain(e) consomme 10 litres d’eau par jour et par famille. Elle (il) marche en moyenne 8 kilomètres (soit 2 heures). Un(e) européen(ne) consomme actuellement 120 litres par jour et par personne (plus par famille), dans les mêmes conditions, elle (il) devrait marcher ( 8 km X 12) 96 kilomètres, soit pendant 24 heures par journée 7.



VII.1.3. Potable = Choix minimaliste ?



Avons-nous vraiment le choix de l’eau ? Certains boulangers sont privilégiés lorsqu’ils reçoivent une eau venant directement des montagnes et d’autres ont des sorts moins enviables lorsqu’ils reçoivent une eau en milieu urbain, voire en milieu rural pollué. De toute façon, il doit s’agir d’eau potable, terme discutable issu d’un concept légal.

Cette potabilité est normalement cernée par 64 paramètres et une trentaine de directives européennes 8. Alors dans ce cas, s’en assurer soi-même devient difficile et engage des frais d’appareil et de contrôle. Si la Terre est dite « la planète bleue », c’est parce qu’elle est couverte à ¾ d’eau.

Le corps humain en contient 60 % et l’état pâteux pour l’obtention d’un pain, outre les +/- 15 % d’humidité de la farine, en est composé à plus d’un 1/3.

L’eau en boulangerie va hydrater la farine, permettre principalement pour le froment de se former le gluten et son réseau (qui sont justement les protéines insolubles dans l’eau), permette avantageusement pour le seigle le gonflement des pentosanes et enfin permettre aussi à nous boulangers de réguler la température finale de la pâte afin de pouvoir enclencher de manière appropriée le processus de fermentation de celle-ci.

Après ce discours, l’eau reprend de l’importance, d’autant que l’évolution actuelle a tendance a travailler les pré-pâtes en milieux forts hydratés. Les levains-liquides (des fermento-levains) et les poolish conduiront à surveiller mieux la qualité de l’eau.



VII. I. II. Eau douce ou eau dure ?



Souvent lors d’intervention sur le levain ou plus simplement de rencontres entre confrères tournés vers la qualité, cette question est venue « quelle est la meilleure eau pour le levain ou pour la pâte ? ».

La réponse n’est pas si simple du fait que l’on n’a pas toujours la possibilité du choix, comme décrit plus haut.

Les quelques études faites à ce sujet 9 indiquent qu’une eau douce (c.a.d. : eau contenant peu de sels minéraux) rend les pâtes plus collantes et ne renforce pas tant le gluten. Le peu de sels minéraux ne joue pas l’effet tampon, a tendance à accélérer la fermentation et donner une couleur pâle au produit cuit.

L’eau dure, (c.a.d. : eau contenant beaucoup de sels minéraux) à l’inverse, renforcera le gluten et diminuera (ou régulera selon certains) l’activité fermentaire.

Les tests fermentaires et de panification (levure en direct) ne révèlent pas beaucoup de différence pour le produit final du moins. L’ajout de farine effectuant un pouvoir tampon autrement important que la présence ou pas de sels minéraux dans l’eau.

Cela relègue souvent au second plan, l’état de l’eau obligatoirement potable. Du coup, le conseil indiquera le choix bien connu du juste milieu, c.a.d. ; l’eau moyennement minéralisée.



VII. I. III. Eau et démarrage d’un levain-chef ?



Enclencher une fermentation naturelle dans le mélange pâteux (eau/farine) pose autrement le problème de l’eau.

L’eau potable (ou de distribution) est très souvent chlorée afin d’assainir sa propreté microbiologique.

Si l’on tombe en plus sur les jours où on désinfecte les canalisations, alors on ne doit plus se poser la question, si cette eau laisse encore la possibilité de vie aux micro-organismes, souhaités cette fois pour la fermentation.

N’exagérons pas non plus notre jugement et signalons qu’il s’agit dans ce cas précis de faire naître une fermentation et non pas de nourrir ou rafraîchir un levain-chef ancien ayant déjà servi dans des préparations antérieures ou d’ensemencement de pâte à l’aide de levain tout-point.

Si vous voulez attentif à la présence du Chlore dans l’eau, n’ajoutez en tout cas pas de sel lorsque vous essayer de créer spontanément la vie fermentaire d’un levain naturel.

Les 200 milligrammes de chlore ( Cl ) que peuvent (en principe et à contrôler) contenir une eau potable ne sont rien à côté des 2 % de sel ( NaCl ) au kilo de farine ( soit 2000 milligrammes). De plus, déchloré n’est pas au-dessus de nos forces.

Laissez reposer, ou remuer l’eau 10 ou encore ajouter quelques gouttes de jus de citron, rectifierons aisément le problème. Parfois le conseil guide vers l’emploi d’eau de table et de source vendue en bouteille dans le commerce jusque 300 fois plus cher que l’eau de distribution.

Vu les petites quantités d’eau nécessaires pour la création d’un nouveau levain-chef, le coût n’est pas exorbitant.

Mais n’allez pas choisir les eaux minérales aux vertus thérapeutiques réelles ou supposées, car certaines seraient tout simplement interdites en eau de distribution.

Elles sont, en termes de potabilité, excédentaires soit, en Calcium (Contrex), en Sodium (Apollinaris, Vichy), où en fluor (Saint Yorre).



VII. I. V. Epurer, fitrer, adoucir, coulent-ils de source ?



Il est clair à toute action écologique, qu’il vaut mieux éviter de polluer, qu’épurer. On sait où la pollution commence, on ne sait jamais où elle finit.

L’épuration au chlore de l’eau de distribution pour sa potabilité a déjà été énoncée, elle entraîne un risque de pollution par la formation du chlore avec des matières organiques de substances cancérigènes.

Et malheureusement, lorsqu’on fait l’état des lieux des ressources en eau, c’est lamentable ! 11 Un quart des nappes phréatiques européenne dépassent les 50 milligrammes de nitrates plafond autorisé par l’Organisation Mondiale de la Santé (O.M.S.).

De plus, cela n’est que le résultat des lentes percolations (ou filtrages) à travers les sols des nitrates que la terre a reçus, il y a 10 à 30 ans. On peut s’attendre à des augmentations dans les années à venir, vu les doses et les méthodes employées actuellement en agriculture.

Pour les pesticides, rebelote, on dépasse parfois de 20 à 30 fois la norme autorisée. Du coup, le souci écologique implique des démarches d’assainissement.

Un boulanger breton (F) avait remarqué que ces pains éclatait au four, et il solutionna son problème par l’élimination des nitrates. Le filtre à osmose inverse pour éliminer la trop forte teneur en nitrates nécessite un suivi assez régulier.

Il faut éviter qu’il n’engendre une autre forme de pollution, la contamination microbiologique qui trouve facilement dans les nitrates stagnant de ces filtres un substrat de base. L’adoucisseur d’eau pour éliminer le trop de sels minéraux exige aussi un suivi.

On sait que les légumes cuisent moins bien avec une eau dure, mais si on élimine le calcium ( Ca ) et le magnésium ( Mg ), on augmente la teneur en sodium ( Na ) .

Adoucir l’eau n’est pas toujours synonyme d’eau douce, pour autant que celle-ci soit désirée en panification. Une attention doit être portée également à l’eau chaude du robinet, il faut contrôler si l’échangeur de chaleur séparant l’eau du chauffage central et l’eau du robinet fonctionne bien.

Une eau chaude comporte moins d’oxygène et plus de risque de formation de nitrites. On le voit, parfois lorsque l’on modifie un paramètre, on influe sur un autre.

Ce n’est pas simple de se mettre soi-même à la « potabilité ». Cela ne s’improvise en tout cas et exige suivi et connaissance.



Notes:



1 P.J.MALOUIN, déjà cité note 6, p.188 à 191 & A.A.PARMENTIER déjà cité note 30, p.255 à 264.

2 Jean MARGAT, L’eau, l’or bleu du XXIème siècle, dans Le Courrier de la Planète, octobre 1994, n°24 , p.6 à 8.

3 David FULLERTON & Michèle LEIGHTON-SCHWARTZ, Le modèle californien en question, dans Le Courrier de la Planète, octobre 1994, n°24 p.14 à 16, qui signalent que dans cet état américain, on consomme 41 km³ d’eau par an, dont 80% (la moyenne mondiale étant de 70%) pour l’agriculture. Pour faire une tonne de blé, il faut 150 tonnes d’eau. Petit à petit les privilèges des prix différents de l’eau pour le secteur agricole californien est menacé.

4 Ricardo PETRELLA , dans la revue Ecolobby, p.4 & 5, décrit les conditions de prêt du F.M.I. et Banque Mondiale pour l’amélioration et la distribution d’eau dans les pays en voie de développement. Ces deux organismes exigent une gestion par des firmes privées, comme par exemple ; Suez & La Lyonnaise des eaux, détenues par des Fonds de Pensions américains (du Nord) qui veulent 18% de rendement en capital.

5 Daniel TESTARD, Sauve qui pleut !, dans L’Echopain, Bulletin des gallopains n°14, mai 1996.

6 Joseph ORSZAGH, Les petites gouttières font les grandes rivières, dans L’Echopain, Bulletin des gallopains n°14, mai 1996.

7 Dans la revue Ecolobby Dossier Eau, p.15

8 Katia KANAS, Revue Green Peace, Dossier Eau potable, état des lieux, hiver 1996, p.9 & 10

9 Résumée et poursuivie par Christophe MONTOYA, Etude de l’influence de la qualité de l’eau de coulage en panification française, Revue périodique « Fidèle au bon pain » n°18, année 1998-1999, p25 à 29.

10 Jean-Michel FLORIN interviewant Pierre DELTON, boulanger biodynamiste à Lardy au sud de Paris, Nous avons accueilli le grillon, dans le supplément du n°155 consacré au pain, de La lettre aux amis des champs et des jardins, déc.1990, signale p. 25 « l’eau est préalablement vivifiée par le passage d’une double spirale de vasques vives, ce procédé permet de libérer le chlore de manière mécanique. »

11 Sondons seulement les titres de la presse concernant l’état de l’eau