III. LES DIVERSES STRATEGIES AUTOUR
DE L'AMELIORATION DU PAIN


Quelle stratégie adopter pour l'amélioration de votre panification ?

Cela dépend, bien entendu, de votre exigence vis-à-vis de vous-même et de vos collaborateurs, de votre amour du métier, de votre compétence professionnelle.

Nous l'avons vu les «convenience products» = produits confortables, peuvent vous proposer  la facilité et l'assurance de réussite, ils seront de plus en plus élaboré en amont de votre production[1]. 

 

On peut également remarquer que ces produits adjuvants ou farine prêtes à l'emploi vise la rapidité de maturation des pâtes [2], la garantie de volume maximum [3], l'adaptation au processus  fortement mécanisé, voir intensif [4]. 

Cela fait partie d'une demande de texture maîtrisée et reproductible, plus propre au secteur industriel, qui en plus diffèrera de plus en plus la cuisson par la surgélation[5].

Si une migration vers une «naturalité» s'est imposée ces dernières années dans le secteur des fournisseurs de matières premières pour boulangeries, elle n'a pas changé ces objectifs.

Ce déplacement de l'additif  à l'enzyme c'est sournoisement muté [6] du fournil à la meunerie, de l'effet dit améliorant à l'effet dit régulateur ou correcteur.

C'est dans la farine et au moulin que l'enzyme est ajouté, il participe aux mêmes fonctions oxydantes, émulsifiantes et accélératrices de la fermentation qui étaient l'apanage des améliorants.

Par la formulation enzymatique introduite de cette manière, la migration du savoir-faire risque de s'opérer du fournil d'essai pour l'ensemble des clients boulangers.

Il faut bien dire que les meuniers répondent aussi aux acheteurs-boulangers demandant une farine «infaillible» quelque soit la saison [7].  Si l'entreprise meunière répond à cette sollicitation, la requête se dénommera de manière assez compréhensible; régulatrice ou corrective.

Le professionnel qui prendra le temps de connaître les effets technologiques des ajouts qu'il opère ou choisi, sauvegardera mieux son savoir-faire, il saura éviter les doses excessives ou mieux les remplacer par des méthodes de panification qu'il lui faudra comprendre le plus précisément possible et traduire en application. Le froid positif est venu depuis quelques décennies un élément modérateur de fermentation et donne des aspects positifs non seulement au niveau organisationnel, puisqu'il permet aussi d'élargir l'espace temps, élaborateur d'arômes.  Dernière évolution technologique, la diviseuse-formeuse qui après un pointage en bac respecte cet espace fermentation sans endommager l'alvéolage de la pâte.

L'amélioration de la panification n'est certainement pas que la rapidité (rentabilité) de fabrication, mais ce n'est pas tant l'amélioration de la panification que les conditions économiques dans lesquelles elle doit se pratiquer qui poussent à la rapidité d'exécution.  Il est très difficile de s'extraire du contexte social (il n'existe qu'un marché de l'emploi) [8], du contexte fiscal (le forfait fiscal est avantageux en fonction du rendement que l'on tire de la matière première mise œuvre) [9] et du contexte économique (les marchés, notamment les soumissions pour les collectivités s'attribuent aux plus offrant[10] –financièrement parlant-).

 

Sortir du contexte médiatique demande également une démarche très volontaire pour sauvegarder son discernement.  En effet, l'espace médiatique du boulanger est souvent sa boite aux lettres avec les publicités propres au secteur [11], ses revues ou encore l'information donnée (prime, cadeaux, ristourne) par les commerciaux des firmes.  Le marketing employé par les firmes peut prendre jusqu'à 2/3 à 3/4 du prix de vente du produit proposé [12].

Le libre-marché et son effet dit souvent «régulateur de marché» influence autant si pas plus, que l'adjuvant qui se veut de nos jours aussi, «régulateur», mais là il est plutôt nivelant au plus dénominateur commun. 

Il faut donc sortir de beaucoup de contexte, avoir une exigence au niveau connaissance des produits et des procédés de panification, pour améliorer ses bases techniques.

Un effet oxydant n'est pas que la panacée d'un agent ou enzyme anti-oxydant, un surdosage de fermentation, un pétrissage intensif peuvent amplifier l'oxydation.

L'intervention enzymatique de plus en plus induit dans la farine, doit pouvoir être mieux évalué par le boulanger, celui-ci pose aussi des choix de panification où les enzymes réagiront différemment suivant les diagrammes (courts ou longs [13]) observés par les praticiens dans leur fournil respectifs.

Le raccourcissement de l'espace fermentation n'est pas l'objectif de tous les boulangers et c'est notamment ceux qui privilégient la maturation de la pâte par la fermentation plutôt que par le pétrissage ou l'ajout d'agent ou enzymes oxydant qui obtiennent les meilleures cotes aux compétitions.

Le levain bien maîtrisé (devenu liquide afin d'être pompable) apporte un bouquet d'arômes plus varié que la fermentation levurée.  Cette dernière avait déjà eux de meilleures lettres de noblesse en passant par l'emploi d'une pré-pâte type poolish.  L'autolyse apporte ce temps qui manquait aux pentosanes de la farine afin de mieux unir les éléments farine et eau autrement qu'en les battant longtemps et intensivement. L'apport de pré-pâte fermentée peut compensé les «raccourcis» opéré sur le pointage. 

Toutes ces méthodes de panification sont aussi «naturelle» et sont une réelle recherche d'amélioration de la panification.



[1] Voir le premier chapitre de ce dossier qui détaille l'historique.  Cela a débuté par l'addition de produits de synthèse (les additifs) en petite quantité cernée par les DL50 (Dose Léthale pour 50% des animaux testés) et Doses Journalières Admissibles (D.J.A.), pour se poursuivre avec le mélange de ces produits et d'autres ingrédients avec la farine dans le mixe et continuer jusqu'aux produits pré-formés, pré-cuits voir cuits et acheminés congelés.

 

[2] On sait d'abord par observation empirique puis par constat scientifique que l'oxydation des composants de la pâte, et principalement le gluten, apporte une maturité à la pâte. Elle se produit spontanément au cours de la panification qui met en jeu (voir en compétition) le pétrissage et la fermentation.  Le forçage de cette oxydation s'observera par la profession dès l'ajout de matières grasses émulsionnées par de la potasse et de farine de fève.  Lors de l'avènement de la production de molécules de synthèse ou simplement extraite et scindée de produits naturels, les agents oxydo-réducteurs (bromate, iodate, ascorbate) seront utilisés, vu leur efficacité, en dose infime (des dizaines aux centaines de parts pour millions, soit milligrames). Voir pour approfondissement le chapitre II.6.

 

[3] Dans la revue "Fidèle au bon pain" n°9 de 1993, Hubert CHIRON, décrit «La contribution de la boulangerie de l'Ouest aux techniques françaises de panification» en mentionnant que l'augmentation du volume masquera dans les années 1960-70, une baisse de poids du pain de 4 livres à 3 livres. En Belgique, c'est sur les pistolets que se produit le même effet ; «…ne peser que 1.500 grammes au lieu de 2.000 grammes…» pour la balle de pâte de 30, préconisait en 1958, un représentant ; voir L'Echo de Zeelandia, n°2 de 1973.

 

[4]  Il faut prendre en compte non seulement le passage du pétrissage manuel au pain dit au début (vers la moitié du 19ème siècle),…à la mécanique,  mais aussi les autres mécanisations de la panification (peseuse, diviseuse, rouleuse, allongeuse).  Le fait de différer la cuisson par la congélation impliquera une augmentation des doses d'adjuvants afin de résister au vécu de la pâte au froid négatif.

 

[5] Dans un Monde qui au XXIème siècle, doit se positionner vis-à-vis du manque de ressources en énergie, la surgélation représente une ineptie à ce niveau par le besoin de refroidir les ingrédients de la pâte, de maintenir la production au froid négatif lors du stockage, de la livraison et de l'entreposage au lieu de vente. D'ensuite devoir dépenser une énergie supplémentaire afin de passer du froid à la cuisson. Le professeur Raymond CALVEL le mentionnait déjà en 1988 alors que l'acuité de recherche d'économie d'énergie ne s'imposait comme aujourd'hui ; voir, «La surgélation en panification ou la médaille et son revers» publié dans la revue Le Boulanger-Pâtissier de novembre 1988, p.15 à 18.  C'est un débat qui ressurgira lors de l'avènement du décret pain de tradition française en 1993 en France ; «L'exigence première des consommateurs vis-à-vis du pain ; la fraîcheur. Or ceux qui ont résolu le problème sont pour la plupart des terminaux de cuisson» écrira un industriel du secteur dans la revue Filière Gourmande d'octobre 1993, dans un article titré «Le décret pain et si tout n'avait pas été dit…»

 

[6] A propos d'une réglementation sur les enzymes de la Communauté européenne, la fédération des lobbys de fournisseurs d'ingrédients pour boulangerie (FEDIMA) écrira en décembre 2006 sur son site ses «Premiers commentaires sur la proposition concernant les agents d'amélioration d'aliments».  «La proposition (de la CE) ne favorise pas la propriété intellectuelle et l'innovation de nos produits.» Le communiqué de la FEDIMA poursuit en signalant «…que les conditions de l'utilisation seront basées sur l'utilisation sûre des enzymes.» Est-ce parce que l'on souhaite «une lecture amicale» et ne pas contribuer à «l'hésitation du consommateur pour les additifs» comme «les enzymes utilisées dans nos produits ne sont pas en activité dans le produit de consommation final, il n'y a aucun besoin de les déclarer» En conclusion pour la FEDIMA « Marquer la catégorie «enzymes» serait un bon compromis.»  Si on écoute ce conseil, notre sac de farine ne préciserait pas quelle famille et types d'enzymes est ajouté.

L'article 12 du chapitre 1 de la directive 1331 /2008  précise «Parmi les informations fournies par les demandeurs, le traitement confidentiel peut être accordé à l'information dont la divulgation pourrait nuire sensiblement à sa position concurrentielle. Les informations relatives à celui-ci ne doit pas, en toutes circonstances, être considérées comme confidentielles: (a) le nom et l'adresse du demandeur; (b) le nom et une description claire de la substance; (c) la justification de l'utilisation de la substance dans ou sur des denrées alimentaires ou catégories de denrées alimentaires; (d) les renseignements pertinents à l'évaluation de la sécurité de la substance; (e) le cas échéant, la méthode d'analyse (s).» Pourtant l'Union Européenne a produit depuis 1993 une série de réglementations imposant aux producteurs de denrées alimentaires de mettre en place des mesures visant à assurer un niveau de protection élevée, notamment une tracabilité de la fourche à la fourchette. Ici la CE autorise quasi l'inverse. Est-ce la démocratie versus «lobby agro-industriel» ?

  

[7] «Il n'y a pas de mauvaises farines, il y a de mauvais boulangers». Ce propos peut se constater lorsque des boulangers utilisent des farines de l'agriculture régionale ayant subit un accident climatique de blé germé sur pied. L'adaptation de la boulangerie artisanale (surtout celle pratiquant la fermentation au levain) aux farines fluctuantes suivant les récoltes confond parfois la valeur des critères de farine panifiable élaborés pour des processus industriels fortement mécanisés.

 

[8] L'emploi en boulangerie s'est largement modifié ces dernières décennies. La formation en apprentissage s'est déplacée vers une formation plus hors du terrain vers une formation en école technique. Le contexte salariale n'a pas su se faire valoriser par rapport aux autres secteurs d'activités tertiaires (les services).

 

[9] La taxation forfaitaire (forme simplifiée de calcul d'impôt) implique des décisions d'ajustements réguliers pris entre l'administration et la commission fiscale de la fédération des boulangers. Notamment les ajustements a appliquer à ces nouveaux produits plus élaborés en amont de la vente (pré-mixes et produits surgelés). Elle ne peut s'appliquer qu'à des entreprises au chiffre d'affaires plafonné à certains montants et n'étant pas en société. Comme les représentants autour de la table sont des boulangers, les fabricants de matières premières ont voulu faire partie des interlocuteurs auprès de l'administration en créant par leurs filiales de produits finis un droit de représentation. Ceci afin de rendre encore plus incitatif l'emploi des leurs produits (pré-mixes et produits surgelés) au sein du forfait.

 

[10] Chaque marché public doit lancer des appels d'offre pour leurs fournitures. Les critères demandés pour étayer la soumission est d'ordre pratique et surtout au meilleur marché.  Au point que l'expression, un pain d'hôpital est devenu synonyme de mauvaise qualité. Un comble pour un espace ou l'on est sensé soigner les patients.

 

[11] Voici les propos repris de communication de firmes productrices d'ingrédients (améliorants ou mixes), dont il faut savoir prendre la mesure ; «Votre savoir-faire, notre qualité !», «Aider l'artisan, pas le remplacer !», «Des professionnels au service de professionnels !» «Facilitez-vous la vie !», «Donner à vos pains, la saveur d'autrefois», «La tradition d'antan, l'avenir d'aujourd'hui», «Seuls, la levure, l'eau et le sel sont à ajouter».

La presse professionnelle indépendante vit financièrement plus des publicités des firmes que des abonnements.  Même une petite fédération voit que les cotisations ne prennent dans le budget (exemple de 1996) que 21% des entrées par rapport aux publicités insérée dans la revue envoyée à ses membres.

 

[12] L'OCDE estimait en 1980 que 60 à 80% du prix des pesticides est constitué du prix de promotion et du marketing, voir la revue "La lettre de Solagral", juin 1985. Est-il impensable vu la performance des firmes para-boulangères d'émettre une hypothèse semblable, d'autant que des boulangers réalisant eux-mêmes leurs produits améliorants nous signalais des économies de 75%.

 

[13] Une indication que les enzymes réagissent différemment suivant la durée de la fermentation, se trouvent sur le site même d'un fabricant, ou l'on propose une «préparation de l'amylase fongique avec des activités xylanase supplémentaires, afin d'obtenir des résultats optimaux dans les processus de fermentation longue».


Auteur : DEWALQUE Marc, BoulangerieNet.
Janvier 2012